Déjà réalisateur de nombreux documentaires sur le Congo-Zaïre, Thierry Michel renouvelle l’expérience avec ce Congo River. Le dispositif du film rejoint comme le titre l’indique celui du roman de Conrad, à savoir une longue traversée sur le fleuve Congo. Ce parti pris permet alors au cinéaste de s’intéresser à toutes les facettes de ce pays, d’en parcourir les enjeux présents comme passés, les drames et les fêtes. Ode au fleuve comme lieu de vie, Congo River est un film fort qui donne à voir l’Afrique au fil de l’eau.
Embarquement immédiat. Comme DR9 de Matthew Barney sorti la semaine dernière, le fil narratif de Congo River est une traversée à bord d’un bateau. Même si les comparaisons s’arrêtent ici entre les deux films, il est intéressant de souligner que ce dispositif narratif se retrouve dans des approches distinctes de cinéma et permettent à des créateurs si différents d’explorer leurs obsessions. Car si le baleinier de Barney avait fonction de laboratoire, le bateau-village de Thierry Michel a, lui, fonction d’Arche de Noé.
Choix poétique s’il en est, permettant une remonter vers l’origine du fleuve, à la manière des grands explorateurs comme Henry Morton Stanley qui fut le premier occidental à remonter le cours du fleuve jusqu’à son embouchure en 1874. Mais aussi référence littéraire issus de Joseph Conrad et de son célèbre livre Au cœur des ténèbres que le réalisateur confesse comme étant l’un de ses livres de chevet. La traversée du fleuve Congo rejoint avant tout, une réalité géographique, le cours de l’eau est le moyen de communication le plus pratique dans ce pays ravagé par de nombreuses années de colonialisme et de dictature.
Le parti pris du voyage fluvial met alors en lumière tout le projet du film. Riche en interprétations et en digressions, il permet de toucher le pays en son cœur et d’en livrer une vision plénière, où tous les aspects peuvent être évoqués. Nous circulons de Mobutu au passé colonial évoqué par des images d’archives, de la religion à la vie quotidienne des habitants, des guerriers Maï Maï aux universités désertés. Chaque évènement a son poids, chaque vie et chaque lieu compte pour ce qu’elle raconte d’elle-même ou de son pays. Comme le remarque le réalisateur, Congo River n’est un film ni journalistique, ni didactique. Cherchant plutôt à donner de l’Afrique une image qui soit belle et digne même dans la tragédie, Thierry Michel offre un film qui nous porte. Tout en donnant à voir le Congo en particulier, le film donne surtout à voir la réalité et la vie en général. Prise de conscience poétique d’un pays qui cherche encore à se réconcilier avec son passé (Mobutu et les colons) pour se fabriquer un présent (la domination de la religion catholique), tout en cherchant à aller vers le futur (le centre de soin et de protection pour les jeunes filles violées). Les éléments du film illustrent dans son morcellement la richesse et la confusion du Congo, évitant tout jugement hâtif de la part du cinéaste comme de son spectateur. Il s’agit plutôt de se laisser porter par les situations et le flux éternel de l’eau.
C’est le fleuve, divinité respectée, ce monstre naturel qui devient le lieu rassembleur de la confusion et de l’hétérogénéité du pays. En promenant notre regard au fil de l’eau, Thierry Michel fait un choix assez osé, celui de rendre l’Afrique dans un documentaire poétique où la vie prime sur toute autre chose. Jamais plombant ou lourd, on pourra toujours être déçu de ne pas en apprendre plus sur tous les sujets abordés. Mais en cinéaste, Thierry Michel livre une pure vision de cinéma, un film d’auteur même, personnel et engagé dans son enthousiasme et son refus du misérabilisme.