Pour son premier long-métrage documentaire, Chantal Poupaud (mère de Melvil) met à nu la face cachée d’hommes hétéros qui aiment se travestir en femmes. Au programme : quatre confessions qui nous emmènent loin des clichés et de tout voyeurisme.
Attachée de presse de Marguerite Duras, autrice de deux séries de téléfilms qui dépassèrent le cadre du petit écran (Tous les garçons et les filles de leur âge, Toutes les femmes sont folles) et d’un court-métrage documentaire, Chantal Poupaud signe ici son premier documentaire sur grand écran et s’intéresse à un sujet pour le moins surprenant : les crossdressers. Meilleures expressions des théories queer, les crossdressers pratiquent l’art du travestissement sans rechercher pour autant l’imitation ni l’accès absolu au féminin. C’est un jeu clandestin où les notions de séduction auprès des hommes, d’homosexualité, de transformisme ou de transsexualité n’ont pas lieu d’être. Le crossdresser est donc à la croisée des genres, une personnalité délicieusement atypique où les attributs masculins (la voix est rarement modulée) se mélangent aux apparats des grandes dames. La réalisatrice a eu l’idée de ce documentaire lorsqu’elle surprend, un soir dans un bar parisien, une réunion de crossdressers, assemblée de « Tootsie » et de « Mrs Doubtfire » comme elle le dit. Et cette envie lui vient de lier connaissance, de comprendre et de sortir des clichés dont elle-même se trouvait la première victime. Il en ressort quatre portraits : Nicole, Lolita, Auxane et Virginie Perle, hommes dans le civile, hétérosexuels de surcroît bien souvent mariés avec des enfants. Le parti pris de Chantal Poupaud est de couper court à tout pittoresque et de montrer uniquement le cérémonial du travestissement. Les quatre portraits se succèdent ainsi sur le même modèle et dans une même religiosité, des bas délicatement posés aux dernières retouches de maquillage. Le « personnage » se créé et s’anime sous nos yeux tandis que la parole peu à peu se délie. L’occasion pour ces crossdressers clandestins d’évoquer comment cette passion cohabite (souvent douloureusement) avec leur vie de couple, comment, pour tous, Internet leur a permis de sortir de leur isolement et de rentrer en contact avec d’autres hommes comme eux. Au fil des témoignages (et c’est surtout flagrant avec Virginie Perle), il apparaît que cette activité est un luxe au sens propre comme au figuré, plus facile à assumer lorsque l’argent est là et permet de s’offrir un pied-à-terre sur Paris pour ranger sa garde-robe loin du domicile conjugal.
En se concentrant sur le cérémonial du travestissement et en donnant libre cours à la parole des crossdressers, Chantal Poupaud nous préserve fort heureusement des confessions intimes putassières. Son œil discret, son choix de ne montrer le visage de ses interlocuteurs qu’une fois la transformation entamée ou encore de ne pas les confronter aux regards extérieurs témoignent d’un respect indéniable pour ses témoins. Ce parti pris pudique permet à la réalisatrice d’instaurer une confiance et de pénétrer dans l’espace intime de ces hommes. Ici, il ne s’agit pas de provoquer le réel pour le rendre extraordinaire mais plutôt, dans une narration faussement en « temps réel », de permettre à la matière brute de se révéler et de devenir cinématographique. C’est à la fois la force et la faiblesse de ce documentaire que de feindre une absence de point de vue et de se montrer dépendant de la qualité de ses témoins, surtout dans leurs aptitudes à se livrer et à s’analyser. De même, si la démarche d’ensemble, l’exploitation de la musique et la pertinence de certains plans (ici une plongée sur une paire de chaussures d’hommes à côté de talons hauts) trahissent forcément le « travail » de la réalisatrice, la sobriété des images et la mise à distance délibérée posent parfois la question de la légitimité d’une exploitation sur grand écran, exploitation où le spectateur est beaucoup plus attentif à la forme. Lors du dernier portrait, le documentaire semble presque buter devant ses propres contradictions. Virginie Perle apparaît avec son masque vénitien comme échappée d’un autre temps et d’un autre monde. Au milieu d’un appartement rétro et ultra-bourgeois, ce personnage à la lisière du fantastique se livre beaucoup plus difficilement que ses comparses, ses propos sont à peine audibles, masqués par les bruits extérieurs de la rue.
Le projet serait nécessairement voué à une impasse sans un travail de recréation. C’est la voie salutaire que choisit la réalisatrice, aidée par son fils Melvil pour le montage de cette séquence. Guidé par la musique de Schubert, le montage se montre beaucoup plus elliptique et « clipesque ». Qu’importe si les propos de Virginie Perle deviennent inintelligibles. Ce qu’il importe, c’est de puiser l’essence de ce personnage atypique, déjà, en soi, personnage de cinéma. Et c’est dans ce processus re-créatif que Crossdresser connaît sa plus belle transformation.