Un industriel est retrouvé assassiné dans une petite ville raciste du sud des États-Unis où les soupçons se portent automatiquement vers un homme de couleur. En évitant les écueils du film à message, Norman Jewison livre une œuvre sous tension dont le récit classique se révèle d’une redoutable efficacité, le tout porté par un duo d’acteurs très inspiré.
En deux décennies, Sidney Poitier est parvenu à devenir plus qu’une figure incontournable du cinéma américain, un véritable symbole au même titre que le fut Muhammad Ali sur les rings de boxe. Premier acteur noir à avoir imposé sa présence auprès du grand public américain, il n’a cessé de jouer entre 1950 et 1970 des personnages en butte à l’intolérance de ses concitoyens. Ses choix de films, aux résonances clairement militantes, lui ont permis de devenir le premier homme de couleur à remporter l’Oscar en 1964 pour Le Lys des champs, quelques mois seulement après la marche pour les droits civiques à laquelle il avait participé. Mais loin de vouloir se contenter de rôles de victimes prisonniers d’une condition, Sidney Poitier a toujours préféré incarner ceux qui avaient su s’affranchir d’un fatalisme social pour atteindre les positions les plus prestigieuses : chirurgien dans La porte s’ouvre de Mankiewicz (1950), élève doué dans Graine de violence de Brooks (1955) ou encore médecin de renom dans le célèbre Devine qui vient dîner ? de Kramer (1967). Nulle exception pour Dans la chaleur de la nuit puisque l’acteur y joue un ingénieux légiste qui, une fois innocenté, est mis à contribution dans l’enquête sur l’assassinat de l’industriel.
Comme l’indique son titre (pour une fois, traduction fidèle de l’original), la première caractéristique du film est d’avoir parfaitement su retranscrire l’ambiance poisseuse de ces petites villes sudistes noyées dans leur conservatisme effréné. En ouvrant son film sur des scènes nocturnes, Norman Jewison accentue le malaise en transformant les ruelles en zones de non-droit où chacun fait justice par lui-même, engoncé dans une bêtise crasse qui laisse cours à toutes les stigmatisations. C’est dans cet enfer moite qu’est piégé Virgil Tibbs (Sidney Poitier) suspecté par le roublard shérif du coin, Bill Gillespie (Rod Steiger, un Oscar pour lui), du meurtre d’un industriel progressiste qui avait justement prévu d’embaucher plusieurs milliers de Noirs des environs. Partagé entre son profond dégoût pour la bourgade et la fierté d’être celui grâce à qui les autorités pourront débusquer le coupable, le légiste finit par accepter de collaborer et se confronte au racisme organisé des habitants de la ville.
Si le récit et la mise en scène obéissent parfaitement aux codes ultra-classiques du genre, Norman Jewison, qui a connu son heure de gloire pendant les années 1960 et 1970 avec des films tels que L’Affaire Thomas Crown (aujourd’hui très daté), mène son entreprise avec une redoutable efficacité. S’appuyant sur un scénario minutieusement écrit donnant lieu à une série de scènes édifiantes qui n’ont pourtant rien de ces passages obligés qui plombent souvent les « films à message », la réalisation trouve un équilibre quasi parfait entre le polar et la dimension clairement militante du propos sans que jamais le didactisme ne prenne le dessus (à la grande différence d’un Qui vient dîner ? par exemple). Au sommet du film, trônent deux acteurs, Rod Steiger et Sidney Poitier, qui auraient pu sombrer dans le cabotinage et qui, pourtant, transcendent le particularisme de leurs personnages pour livrer des interprétations nuancées et parfois ambiguës. C’est ce qui a probablement permis à Dans la chaleur dans la nuit d’être le premier long-métrage interdit aux moins de treize ans à remporter l’Oscar du meilleur film. C’était en 1968. Hollywood ne laisse donc rien au hasard.