Sorti en 2003, CQ, ode inégale aux sixties, mettait en scène un jeune cinéaste qui se cherchait, entre réalité et fantasme. Dans la tête de Charles Swan III raconte la tentative du personnage éponyme, graphiste renommé du Los Angeles des années 1970, de se reconstruire à la suite d’une difficile rupture avec son grand amour, oscillant entre présent, introspection et imaginaire. Derrière ces deux petites comédies sur les tourments du créateur, le cinéma de Coppola junior ressemble pourtant à un drame, qui nous conte l’histoire d’un réalisateur mal à l’aise dans les années 2000, lancé dans la quête obstinée d’un style sans jamais parvenir à le trouver.
Clippeur inventif, assistant réalisateur pour sa sœur ou son père et coscénariste indispensable de son copain Wes Anderson, Roman Coppola se lance à nouveau dans la réalisation, dix ans après CQ, avec Dans la tête de Charles Swan III. Son second long-métrage a de quoi appâter le chaland : un sujet (la perception masculine de l’amour perdu), un univers (l’âge d’or des seventies pour les graphistes audacieux), un ton (la fantaisie et sa capacité visionnaire de réinventer l’histoire pour surmonter la rupture), un casting de rêve (Charlie Sheen, Bill Murray, Jason Schwartzman, Patricia Arquette) et une sympathique BO (composée par Liam Hayes). Pourquoi, alors, cette sensation d’approximation et de superficialité, comme s’il manquait un cinéaste derrière la Dolly ? Certainement parce que Roman Coppola reproduit la même erreur qu’avec CQ, étouffant son sujet de son goût fétichiste pour l’imagerie rétro.
Charles Swan III, largué par Ivana, ne parvient pas à se débarrasser du sac de souliers abandonnés de sa belle, qui n’a visiblement pas trouvé chaussure à son pied avec cet indécrottable coureur de jupons, narcissique immature. Charles emballe les vestiges superflus de la dispute jonchant le sol dans un sac qu’il s’en va jeter sur les hauteurs angelines. Problème : le sac s’accroche à une branche, et sa voiture dévale une colline alors qu’il tente de le récupérer pour expulser définitivement les souvenirs amoureux dans le hors-champ d’Hollywood. La métaphore n’est pas difficile à saisir, qui trace le cheminement du film de la chute de l’éconduit à la remontée de la pente. Il aurait fallu à Coppola suivre cette progression, se dégager de l’emprise de l’accessoire qui prend tant le dessus sur les sentiments et les émotions de ses personnages que son film ne dépasse jamais l’anecdotique. Dans un genre différent, Dans la tête de Charles Swan III n’est pas loin de l’échec de L’Écume des jours, autre film de bricoleur où le visuel opprime le moindre élan de l’âme. Restituant l’univers créatif qui déborde le cerveau encombré de son anti-héros fantasque, Coppola a pris un soin délicieusement méticuleux aux costumes, décors et objets pour restituer des seventies de pacotille gentiment nostalgiques. Mais quand le dispositif claustrophile de son complice Anderson glisse constamment sur une élégante mélancolie, Coppola ne parvient pas à donner à son film d’autre horizon qu’une fantaisie foutraque, où s’accumulent chemises de cow-boys ou à jabot, paillettes, perruques et lunettes teintées qui dévorent des acteurs n’ayant pas grand chose à jouer.
Sur l’encéphalogramme des histoires d’amour, le scénario reste à plat, sans jamais trouver l’équilibre entre l’émotion et le saugrenu capable d’emballer ou de faire bégayer la logique du récit. Trop confiant dans l’effet comique des jeux de déplacement de sa fantaisie fabriquée, le film avance sans rythme dans les méandres des fantasmes et flash-backs, et finit par ennuyer fermement. Pot pourri d’influences mal digérées et d’emprunts aux copains (les films de genre, l’esthétique publicitaire, le rétro d’Anderson, les affres de la création de Spike Jonze, le générique final en miroir inspiré du Candy de Christian Marquand), Dans la tête de Charles Swan III laisse un désagréable arrière-goût de supercherie. Laissons donc le dernier mot au personnage de Patricia Arquette qui, reprochant à son frère de s’accrocher en vain à son ex, en fait malencontreusement la meilleure critique : « It’s boring ! »