Depuis plus de cinq ans, le conflit au Darfour a fait au moins 400 000 morts et 5 millions de déplacés. En revenant sur cette tragédie en cours, Paul Freedman choisit d’aborder la question de la mobilisation populaire. Plaidoyer contre le massacre d’innocents, Darfour, du sable et des larmes ne parvient pas, dans sa forme, à éviter l’écueil de la dramatisation, voire du voyeurisme. Reste qu’il met en scène des acteurs – politiques, chercheurs, historiens – très pertinents : leurs interventions, qu’on aurait souhaité plus poussées, font entrevoir la genèse d’un conflit extrêmement complexe et l’impuissance des grandes puissances à le faire stopper.
« Là où il n’y a pas d’espoir, il faut inventer l’espoir. » Cette phrase d’Albert Camus, reprise en préambule du film Darfour, du sable et des larmes, donne le ton : le film de Paul Freedman est un appel à la mobilisation autour de la tragédie en cours dans cette région du sud ouest du Soudan. C’est sa qualité première, mais aussi son défaut principal : car si l’intention quasi humanitaire du réalisateur est louable, l’intention cinématographique est presque absente.
À grand renfort de musique dramatisante omniprésente, de voix off redondante (quand bien même serait-ce la chaude voix de George Clooney, coproducteur du film et bien connu pour son engagement sur le Darfour) et surtout d’images chocs insoutenables, le film, et c’est un comble avec un tel sujet, parvient presque à agacer. De fait, il ressemble plus à un reportage journalistique choc, réalisé un peu à la va-vite, et sans réelle prétention cinématographique : le montage est bâclé, voire illogique, peut-être parce que Paul Freedman est aux commandes à la fois du scénario, de la réalisation et du montage. Pour accompagner des images d’archives de destructions de villages du Darfour par les Janjawids, et de bien trop nombreuses images de cadavres de tous âges, atrocement mutilés, Paul Freedman a recours à une musique spectaculaire, remplie de plaintes. Aux images d’archives s’ajoutent celles tournées auprès d’un contingent des forces pour la paix de l’Union Africaine au Darfour : partout, ce sont les mêmes témoignages de femmes violées, de villages pillés, de familles décimées, d’orphelins. Quel spectateur resterait insensible à l’immense détresse de ces hommes et femmes abandonnés de tous ? Mais là n’est pas la question : car la façon dont Paul Freedman met en scène ses intentions nous laisse sur notre faim.
Le film prétend en effet remonter aux sources du conflit, expliquer sa chronologie, ses tenants et aboutissants. Malheureusement, les interventions des experts travaillant à la question restent trop superficielles. Qui a un peu suivi l’actualité au Darfour connaît les intérêts pétroliers et armuriers de la Chine et de la Russie auprès du gouvernement soudanais. On sait un peu moins les liens existant entre la CIA et les services secrets soudanais : dans ce film, ces questions sont malheureusement tout juste effleurées. Aborder un conflit aussi complexe n’est certes pas chose aisée : est-ce un conflit pour la terre ? Un nettoyage ethnique pratiqué par la population arabe sur la population africaine ? Un génocide ?
C’est justement dans les passages où le génocide est en question que le film se rattrape. Élie Wiesel, l’historien Gérard Prunier, la professeur à Harvard Samantha Power reviennent tous sur l’inutilité, au regard de l’action, qui elle serait nécessaire, de savoir aujourd’hui si c’est bien le mot « génocide » qui qualifie la situation au Darfour. Idée que résume bien Nick Kristof, journaliste au New York Times, auteur de très nombreux reportages sur le Darfour : « Pour Bush, utiliser le mot génocide est un substitut à l’action. » L’explication est lâchée… Dès lors, le parallèle tissé entre le Darfour et les génocides du vingtième siècle (le producteur exécutif, Michael Mendelsohn, est d’ailleurs fils d’un survivant de la Shoah) prend tout son sens : celui de déclencher une immense mobilisation à travers tous les États-Unis. Tous ces passages-là de Darfour, du sable et des larmes sont les plus réussis, parce qu’ils mettent en scène ceux qui veulent redonner un sens au « plus jamais ça ».