L’animation japonaise est souvent considérée comme le dernier bastion d’une école dite « traditionnelle » (c’est-à-dire privilégiant encore la 2D et le dessin sur papier) qui s’opposerait aux techniques numériques (notamment la 3D et les images de synthèse réalisées par ordinateur). Ce dualisme n’a pourtant pas lieu d’être : outre le fait que des animateurs d’un film en 2D peuvent avoir recours au numérique (comme Masaaki Yuasa ou même Hayao Miyazaki), de nombreuses productions de l’animation japonaise intègrent avec succès des éléments 3D à leur esthétique bidimensionnelle. Au cinéma, les récents Promare, Belle ou Demon Slayer : Le train de l’infini emploient par exemple cette technique pour dynamiser les mouvements de la caméra et l’avancée d’objets complexes (le train de Demon Slayer ou les robots de Promare). La réalisation de productions intégralement en trois dimensions reste néanmoins plutôt rare comparée au reste du volume d’anime produit au Japon et ces œuvres sont souvent jugées techniquement en deçà des productions occidentales.
C’est dans cette histoire des formes et des techniques que s’inscrit la sortie de De l’autre côté du ciel, réalisé par Yusuke Hirota et le studio 4°C. Hirota n’est pas étranger à cette industrie puisqu’il y travaille comme réalisateur de segments en 3D d’anime depuis plus de vingt ans. Loin de réinventer l’usage de la tridimensionnalité, le film épouse au contraire les canons des anime, mais en explorant les possibilités qu’offre l’animation numérique. Le film se déroule dans un décor gouverné par un état totalitaire, la ville des cheminées, dont le ciel est en permanence recouvert par une fumée noire. Lubicchi, un jeune ramoneur, rencontre Poupelle, un monstre constitué de déchets avec lequel il tentera de dissiper la fumée pour distinguer les étoiles. Ce scénario permet le développement d’un film tout en verticalité dont les enjeux narratifs servent avant tout de prétexte à gravir des échelles et des cheminées, ou au contraire à s’échapper dans des souterrains et des dédales de ruelles empilées les unes sur les autres. L’univers steampunk favorise la création d’un lieu très compact à la 3D exacerbée : des rues chevauchent les habitations, qui sont elles-mêmes reliées par de longs tubes et échelles. Le métier de ramoneur de Lubicchi justifie par ailleurs son agilité – il se faufile, saute, grimpe, tombe, tourne ou encore glisse.
Boule de neige
Ce dynamisme, Hirota ne le cantonne pas aux seules scènes d’action. Si ces dernières donnent l’impression de ne jamais s’arrêter et sont structurées selon le principe burlesque qu’un élément dans sa chute en entraîne toujours un autre (donnant au film un rythme effréné, comme une sorte de boule de neige qui n’en finirait pas de grossir), le film regorge également de petits mouvements au sein de scènes moins spectaculaires (en particulier celles dansées) et de dialogues plus apaisés. Hirota anime les discussions de façon à mettre en avant le moindre élan des personnages : par exemple, lorsque Poupelle se déplace, ce sont les dizaines d’objets le constituant qui s’agitent. Les émotions des protagonistes ne sont plus soulignées grâce à l’animation de leur visage, mais plutôt par les mouvements généraux du corps et ceux de la caméra. En résulte un film en constant déplacement qui séduit par sa capacité à toujours trouver des moyens d’ouvrir le cadre au mouvement ; une approche qui tisse par ailleurs des liens avec le jeu vidéo, notamment dans une scène où les protagonistes enchaînent les obstacles sur une série de plateformes. Si le scénario ramène parfois brutalement De l’autre côté du ciel à son statut de film pour enfants, il n’en reste pas moins que Hirota semble beaucoup s’amuser à être enfin aux commandes d’une œuvre intégralement en 3D. Sa joie est communicative.