Une mère anglaise et son fils vendent leur maison de vacances dans l’Aube. À l’occasion de cette dernière villégiature, le jeune Elliot rencontre Clément, un garçon parisien en séjour chez sa tante. Il en tombe amoureux tandis que l’on débarrasse peu à peu la maison de ses meubles et que des rancœurs liées au couple parental émergent enfin au grand jour. Il y a une certaine poésie crépusculaire dans ce tableau parallèle d’un amour naissant et d’un amour mourant sur fonds de tensions homoérotiques. Néanmoins le film, à l’esthétique très soignée, souffre de son sérieux et manque un peu de surprises dramatiques pour s’émanciper du cadre figé du récit d’initiation.
Portrait de l’artiste en jeune homme
Dès l’amorce du film, le personnage d’Elliot a quelque chose de véritablement intrigant. En effet, l’adolescent n’est pas complexé ou troublé par son désir. Au contraire, il s’est forgé une persona d’auteur dont les fantasmes sont très clairs. La veste d’officier, la mèche rebelle, le carnet toujours à portée de main, les citations placardées sur les murs de la chambre : tous ces éléments concourent à souligner l’autoportrait de l’artiste en jeune homme, image consciemment construite et savamment référencée empruntant à la fois à la fougue rimbaldienne et aux mœurs de Proust, un auteur qu’Elliot cite d’ailleurs comme modèle. Le grotesque lié à cette projection narcissique juvénile aurait pu être encore mieux exploité – le point de vue reste un peu à niveau d’adolescent -, mais la distance entre le personnage et l’archétype du poète est notamment soulignée par les insultes avec lesquelles Clément ne cesse d’interpeller son camarade. Le jeu d’Alex Lawther est par ailleurs conduit tout en finesse et il est remarquable d’observer l’aisance avec laquelle il passe du français à l’anglais, en conservant une même unité de diction à la fois timide et espiègle. À cet égard, les échanges rapides et bilingues entre les deux héros ne jouent jamais sur le registre de l’incompréhension. Au contraire, une forme de novlangue commune émerge dans le dialogue et vient souligner la concorde étrange qui est en train de naître.
Le calme pendant la tempête
C’est pourquoi la mécanique d’opposition qui semble régir la construction du duo amoureux ne fonctionne pas tout à fait. Le personnage de Clément demeure, durant toute la séduction, une simple projection du désir à la fois artistique et amoureux d’Elliot. Ainsi, les détails liés à sa biographie ont, quand ils émergent, quelque chose d’artificiel et d’excessif dans la caricature du jeune garçon prosaïque et fougueux. En témoignent les moments où le personnage se met à hausser la voix de manière inopinée en altérant l’effet mélodramatique recherché par le contraste avec son mutisme habituel. Plus généralement, les morceaux de bravoure que la mise en scène tente de mettre en place – une scène de masturbation nocturne ou un triangle amoureux subversif – sont atténués par le choix des décors et de la musique. La nature splendide qui est en harmonie avec les émois des héros, la maison de campagne ravissante et bien décorée, les mélodies romantiques puis opératiques mettent en effet l’accent sur la quiétude et le calme environnant. En cela, ils redoublent un récit dont la progression évite par avance les obstacles. Clément résiste peu aux avances d’Elliot, la mère est constante dans sa conscience du trouble qui anime son fils et la bagarre qui déchire par instants les deux jeunes hommes reste un véritable jeu d’enfants. À l’instar du personnage principal qui dit pouvoir prédire l’avenir dans le beau monologue d’ouverture du film, le spectateur se retrouve donc face à une matière quelque peu prévisible dont les coups de théâtre tiennent plutôt de la révélation progressivement distillée d’un secret qui était déjà joué. Mais, dans sa relative atonie émaillée d’accès d’émotion inaboutie, Departure tient peut-être là sa plus grande force : sa capacité à exprimer à merveille le refoulement et ses méfaits, ce qu’il peut produire d’aigreur et d’effroi, le fossé entre une vie vécue et celle que l’on regrette.