Pour éloignée dans le temps que soit leur création, les contes de fées demeurent dans l’inconscient collectif, oripeaux de terreurs symboliques attachés, subrepticement, à nos pensées les plus anodines. Sans doute est-ce plus encore le cas pour Jakob, jeune policier dans un petit village isolé d’Allemagne – un petit village perdu dans les bois, où la population se résume à son équipe de foot amateur et sa bande de jeunes cons bravaches ; un village où l’on trouve, détail notable, une écluse, comme le symbole d’un passage d’un monde à l’autre – car le Grand Méchant Loup hante les lieux. Enfin, un loup, disons, qui hurle et terrorise les locaux, à tel point qu’ils le perçoivent sans nul doute comme grand et méchant. Pas Jakob. Désireux de ménager la bête autant que de résoudre le problème, le jeune flic prend sur lui de nourrir la bête. « Et que va-t-il se passer quand tu auras arrêté de la nourrir ? », lui demande-t-on à raison.
Question de principes
Jakob lui-même fait partie de cet univers à forte charge symbolique : ainsi, ressent-on en lui une éthique et un sens du devoir fort, de celui qui fait passer ses soirées à tenir compagnie à une grand-mère sénile, ou à insister sur les règles de prudence routière face à une compagnie de motards qui s’en moquent. Un sens du devoir qui le pousse également à se lancer sans arme à la poursuite de l’étrange créature qu’il rencontre un soir : un travesti au corps noueux, aux mouvements félins, maquillé et habillé d’une robe, armé d’un katana. D’un bois éclairé à la torche jusqu’à une rue nocturne jonchée de détritus, le réalisateur Till Kleinert parvient à construire une ambiance pesante, de menace perpétuelle. Aidé en cela par le langage corporel très expressif de Pit Bukowski dans le rôle du « samouraï », il perce la surface des choses, ajoute un liseré angoissant à son image : les bois recèlent des dangers insoupçonnés, les rues ont changé de visage, la norme comportementale n’est plus de mise.
Histoires pour ne pas bien dormir
Le visage distordu, inquiétant de Pit Bukowski n’est que le frontispice d’un univers fantasmagorique précisément construit : en tant que fée sombre revue et corrigée à l’aune d’un monde moderne plus ostensiblement sexualisé et violent, il se révèle comme une création subtilement construite, plus délicate que ce que les premiers moments du film ne laissent présager. Alors qu’on peut le soupçonner, dans un premier temps, de céder aux sirènes d’un récit convenu, Till Kleinert déjoue les pronostics, pour composer une sorte de poème macabre à l’esthétique absurde et angoissante. Pas exempt pour autant de lourdeurs formelles (le plan d’une personne filmée en regard caméra et courant vers elle est toujours aussi ringard depuis le finale de Dead Again), Der Samurai parvient à affirmer sa singularité, à construire un univers qui redécouvre la filiation étroite entre le film d’horreur et le conte de fée – que certains choix narratifs finaux relèvent d’une certaine naïveté est, à ce moment du film, inattendu, et alourdit considérablement le tout.