Éliane n’est ni heureuse ni malheureuse, mais elle étouffe entre son métier d’institutrice et sa vie de famille. Ses carnets lui donnent un nouveau souffle et la perspective d’un accomplissement. Idit Cébula, dont on perçoit l’attachement sincère pour son sujet, tente de hisser le propos avec légèreté du côté d’un questionnement de la condition humaine, mais l’ensemble s’avère poussif et, finalement, vain.
Deux vies plus une se présente comme une sympathique comédie gentiment dramatique portée par des acteurs attachants se prêtant de bon cœur au jeu, avec en tête d’affiche, celle dont, paraît-il, le cinéma français ne peut plus se passer : Emmanuelle Devos. Elle interprète Éliane, institutrice approchant la quarantaine, saisie par l’impérieuse nécessité de joindre les deux bouts de son être : celui qu’on est devenu et celui qu’on rêve encore d’être. En ouverture, débordée, la pauvre Éliane, les bras chargés de paquets, trébuche lourdement dans l’escalier. Pas facile la vie, d’autant plus que Sylvain, le mari interprété par Gérard Darmon, met des miettes partout dans la cuisine peu après. Dans cette quête classique, l’héroïne va imposer à son entourage et à elle-même des petites révolutions déstabilisantes. Cette petite révolution, ce sont des carnets secrets qu’elle cherche à publier, un jeune éditeur, forcément charmant, mord : la machine est lancée.
La réalisatrice distille des éléments autobiographiques, en accordant notamment une place importante à la judéité. Le papa, admiré, est mort, la maman vieillissante est forcément envahissante. Le film est globalement placé sous le signe des communautés : la cellule familiale, premier (le mari et la fille) et second cercle (la maman, le frère, les tantes, les oncles, l’identité juive), mais aussi les copines, pardon d’avance pour les lectrices de ce respectable magazine, qui semblent s’être échappées des pages d’un numéro d’Elle. Gouailleuses, modernes, célibataires, délurées, femmes quoi ! Mais revenons au second cercle, auquel Idit Cébula attache visiblement une grande importance, et qui trouve un prolongement cinématographique avec plusieurs scènes de repas. Dans la première d’entre elles, la réalisatrice cherche à retranscrire le sentiment d’appartenance en englobant l’assistance dans le cadre par une série de travellings répétitifs et en soignant une ambiance sonore pas forcément inconfortable mais assurément bruyante. Une sorte de cohabitation des contraires est instaurée entre bien-être et étouffement, nécessité et contrainte, notamment avec le rituel repas du vendredi soir duquel Éliane finira par décider de s’échapper pour travailler avec son éditeur attachant. Il faut se creuser la tête pour comprendre ce qui pourrait justifier une telle omniprésence de l’identité juive dans le film. On a bien saisi qu’une douloureuse histoire familiale est convoquée, en arrière-fond, mais la très grande visibilité du questionnement n’empêche pas un traitement quelque peu artificiel, et superficiel, servant tantôt la veine dramatique, tantôt la comédie.
Deux vies plus une est une sorte de fantaisie comique, dont l’aspect très écrit perce souvent cruellement. Pour la fantaisie, les pensées de l’héroïne se matérialisent à l’image : la maman en sorcière, les rendez-vous au cimetière avec le père. En cas de stress, aucun problème : un peu d’encens, un bonze qui passe par là, un sari et la position du lotus. Voilà pour la fantaisie… Pour ce qui est du ressort de la comédie, des répliques cinglent, aussi le comique de situation a toute sa place : on prend la tension du caniche, on se met à fumer des pétards (bah oui, c’est ça changer !) ou encore on distribue des coups de tête aux collègues insupportables (bis). Mais pas d’inquiétude : du drame et du sentiment il y a aussi. Meilleur exemple : une longue séquence en montage alterné où le mari délaissé est rongé par l’inquiétude pendant que sa femme travaille dangereusement à son carnet avec son acolyte de la Rive gauche. À ce propos, Gérard Darmon n’est pas un mauvais acteur quand le curseur est au centre, ça se gâte sérieusement lorsque celui-ci s’affole vers le comique ou le drame. Par contre, on recroise furtivement, avec grand plaisir, Jackie Berroyer en directeur d’école bienveillant.
Une réelle générosité traverse Deux vies plus une, on sent de la part de la cinéaste l’élan d’un projet précieux, entre éléments autobiographiques et observation du réel, drame et comédie, air du temps et passé lourd, individu et communauté. Mais c’est bien le sentiment d’une entreprise velléitaire et poussive qui s’impose.