Pendant sept ans, Ondi Timoner, jeune réalisatrice sortie de Yale, a suivi les Brian Jonestown Massacre de San Francisco et les Dandy Warhols de Portland. Unis par une passion et un credo communs, la musique, les deux groupes vont d’abord s’adorer et concevoir leur musique ensemble, avant de prendre des directions différentes. La tension monte, les aspirations se distinguent. Le clash était inévitable. Cependant, moins que les affrontements entre les deux groupes, Ondi Timoner s’attache à décrire chacun des deux groupes dans leur individualité et dans leur rapport à l’industrie de la musique.
L’un des aspects les plus intéressants du film réside dans le portrait d’Anton Newcombe, leader allumé et très sixties des Brian Jonestown Massacre. Qualifié par une personne interviewée de « revivaliste des 60′ », on le dirait en effet tout droit sorti de cette période bénie du rock’n’roll. Comme les Beatles pendant leur période mystique, Anton et ses comparses portent des tuniques brodées, arborent des coupes de cheveux de l’époque (Matt Hollywood le bassiste cultive d’ailleurs sa ressemblance avec John Lennon), jouent du sitar et autres instruments exotiques au fond de leur jardin. Véritable génie de la musique, affirmant pouvoir jouer de plus de quatre-vingts instruments, Newcombe fascine par sa volonté de révolutionner la musique, et de révolutionner le monde par cette même musique.
Mais ce qui lui donne son énergie sera aussi ce qui le perdra : son mysticisme, qui le fait se prendre pour un apôtre, et pour le meilleur des musiciens. Les anecdotes et remarques savoureuses fusent à son sujet. Un ami rétorque que si Anton pouvait se cloner, il le ferait, de manière à avoir un groupe entièrement composé d’autres lui-même. Les houleuses séquences de concert et les engueulades qu’il provoque complètent le portrait de cet illuminé, entier et attachant. Sa personnalité explique le parcours chaotique de son groupe, qui aboutira à la carrière solo.
Même si les Dandy Warhols affichent au départ des aspirations et une personnalité communes à celles des BJM, la séparation s’avérera inexorable. Tandis que Anton Newcombe fait dans le rock psychédélique, les chansons des Dandy Warhols tendent vers la pop, et les contrats avec les maisons de disque ainsi que les vidéoclips font leur apparition, scellant ainsi la rupture avec l’esprit underground et beatnik de Newcombe. En voyant jouer les Dandy devant des dizaines de milliers de personnes au festival de Reading, on réalise le fossé – en termes de public et de démarche – qui existe désormais entre eux. D’un côté la musique sans concessions, les albums à la pelle faits avec trois bouts de ficelle, de l’autre l’industrie du disque, et des membres qui rentrent dans le rang (« nous sommes presque tous mariés », fait remarquer Courtney Taylor, chanteur des Dandy Warhols, images des cérémonies à l’appui).
La force de ce « rockumentaire » réside indéniablement dans la démarche de la réalisatrice, et sa manière de nous transmettre les événements. Le plaisir vient du fait que nous suivons vraiment les groupes. Ondi Timoner a réellement partagé leur vie et leur musique, entre premiers concerts, création de chansons, tournées, etc. Ce ne sont pas des images d’archives qu’elle aurait retrouvées. Sa relation avec les artistes est d’ailleurs palpable. Et le spectateur est véritablement ému quand Anton, après s’être fait arrêter pour avoir frappé un homme, lui lance : « Ondi, dis à mon fils que je l’aime », le regard dirigé vers la caméra. En nous plaçant au cœur des événements, en nous faisant vivre l’histoire de l’intérieur, Ondi Timoner donne force et authenticité à son documentaire. Elle recherche simplement la profondeur des deux groupes. Elle ne juge pas non plus ce qu’elle filme, allant jusqu’à confier le commentaire à Courtney Taylor. Elle ne s’efface pas pour autant derrière ce qu’elle montre : c’est à travers le montage qu’elle s’exprime. Les séquences sélectionnées parmi les milliers d’heures de rushes révèlent ses choix de réalisatrice et de documentariste. Si bémol il fallait trouver, ce serait dans la place parfois trop grande accordée au portrait d’Anton Newcombe, mais après tout, pourquoi s’en priver, le personnage est tellement fabuleux !
Par ailleurs, une réflexion sur l’industrie de la musique se profile derrière les portraits. Interviews des responsables de maisons de disques, négociations autour des signatures de contrats, c’est aussi l’univers de ce grand business qu’est la musique qui est dépeint. Chacun des deux groupes le côtoiera à sa manière selon sa volonté de rester indépendant ou au contraire d’accéder à la notoriété.
Faut-il absolument connaître et aimer les deux groupes pour apprécier le film ? Pas nécessairement, puisque le film de Ondi Timoner est autant un documentaire sur deux groupes de rock qu’un film sur les sentiments humains : l’amour, la haine, la quête de reconnaissance, l’espoir et la déception. On le savait déjà, mais Ondi Timoner nous en donne l’illustration : un groupe de rock, c’est une véritable famille, avec ses joies, ses peines, ses déchirements et ses réconciliations. Malgré les divergences d’opinion, Courtney Taylor considère toujours actuellement Anton Newcombe comme un modèle.
DiG ! s’affiche donc comme un documentaire qui n’évite pas certains clichés, sujet oblige, mais qui a toutefois la qualité de faire de nous des spectateurs privilégiés de la vie intérieure de ces deux groupes, comme si on y était, ou presque.