Notre estime pour le comédien Joseph Gordon-Levitt rend d’autant plus désolante la découverte de Don Jon, son premier long métrage de réalisateur (qu’il a aussi écrit). L’argument était pourtant séduisant. Gordon-Levitt s’y donne le rôle d’un jeune homme, Jon, pris dans le cercle de ses habitudes. Soit sa famille (dominée par le père, archétype du macho italien du New Jersey, campé ironiquement et excellemment par l’ancienne star de Madame est servie Tony Danza), l’église où il se rend régulièrement pour se faire absoudre de ses péchés (voir plus loin), sa voiture d’où il peut copieusement insulter ses semblables, ses exercices d’haltérophilie pour entretenir son corps, ses copains avec qui il rivalise de considérations sexistes, les filles qu’il met dans son lit à raison d’une différente chaque semaine (d’où son surnom Don Jon)… et surtout — malgré ce qui précède et dont il est déjà pourvu — son addiction au visionnage de films porno. Parce qu’enfin, c’est vrai, quoi de mieux que des créatures bien carrossées de partout qui assouvissent tous vos fantasmes sans discuter, alors qu’avec les vraies femmes il faut toujours négocier pour faire autre chose que la position du missionnaire ? Un raisonnement et une routine qui seront mis à mal par la rencontre avec deux possibles horizons féminins, une bombe sexuelle qui croit fermement à l’amour à l’eau de rose (Scarlett Johansson) et une quinquagénaire de mœurs plus libres, mais éprouvée par l’existence (Julianne Moore).
Cercle vicié
Pourquoi le récit cinglant de cette remise d’un phallocrate adepte du plaisir solitaire, handicapé dans son rapport au sexe opposé, dans le droit chemin ne convainc-t-il absolument pas ? Parce que son attitude vis-à-vis de son sujet ne diffère guère, au fond, de la triste mentalité égocentrique de son personnage éponyme. D’abord, avec les personnages autres que ce dernier, il ne conçoit que des relations à sens unique, ne voyant en eux que leur utilité pour le personnage principal et pour lui-même. C’est notamment flagrant pour les deux femmes qui vont interférer avec le mode de vie de Jon, chacune représentant une vision du « beau sexe » n’existant que dans la perspective de la recherche de réconfort de l’homme. D’un côté, la bombe sexuelle s’avère une créature peu crédible et peu fréquentable, amatrice de comédies à l’eau de rose comme seule Disney ose encore en produire (parodie ratée de la comédie romantique américaine ?), et surtout terriblement intrusive et psychorigide, jusqu’à la monstruosité, justification trop parfaite de la misogynie. De l’autre, la quinquagénaire joue le rôle de conscience morale des actes de Jon, avant de lui faire découvrir les vertus du plaisir sexuel partagé, mais attention, c’est pour soulager des maux de l’existence (elle porte un deuil). Ainsi la dualité a‑t-elle l’effet pervers de formuler à propos du sexe une vision moralisatrice (il faudrait de bonnes raisons pour coucher, et avec la bonne personne), et surtout de ne faire des femmes que des alibis pour cette formulation, à défaut d’être des personnages convaincants.
L’autre point commun fâcheux entre le film et son personnage est de tourner en rond dans la routine de ses habitudes. Gordon-Levitt trouve en effet — à tort — très intelligent de filmer cette routine en une série de boucles répétitives de scènes (en voiture, à l’église, en boîte, au lit, devant l’ordinateur, etc.), reproduisant même les positions de caméra et les musiques. Tout le film devient alors une affaire de montage de répétition, plus ou moins rapide avec une tendance à la stroboscopie quand il s’agit d’images pornographiques (pour figurer l’orgasme de Jon atteint par la masturbation). De ce régime d’images, Don Jon ne daignera jamais sortir, piégé lui-même dans la ronde de ses tics visuels, même quand, à la fin, il fera mine de contrarier les situations attendues de son personnage. Ainsi, quand celui-ci trouve enfin l’amour et le plaisir auprès d’une partenaire qui a su le toucher, leurs ébats auront-ils droit au même montage hystérique que les images pornographiques précédentes… En somme, pour atteindre le nirvana, le sexe à deux et le coup de poignet devant des performances pornographiques se vaudraient bien (ce qui contredit l’intention affichée du film). En tout cas, si Gordon-Levitt devait persévérer comme réalisateur, on espère qu’il ne s’engage pas là dans un semblable cercle vicieux.