Dès son premier plan, Edmond, adaptation cinématographique d’Alexis Michalik de sa pièce de théâtre du même nom, surprend par sa facticité. Partant du sol, un travelling vertical révèle un théâtre au beau milieu du Paris de la « Belle-Époque ». Dans un décor sur-maquetté (pour le cinéaste, une retranscription idéalisée du Paris d’antan), on découvre Edmond Rostand (Thomas Solivérès), aspirant écrivain. À l’image de la principale source d’inspiration du film – Shakespeare in Love de John Madden, lauréat de sept Oscars en 1999 –, Edmond est une success story prenant de larges libertés avec la vérité historique. De dramaturge virtuose composant une pièce en vers sur l’écrivain libertin Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand devient ici un écrivaillon ne devant l’écriture de sa pièce qu’à une série de rencontres fortuites – dont celle avec Constant Coquelin (Olivier Gourmet), comédien de théâtre au sommet de sa gloire. Le film suit ainsi l’écriture et la mise en œuvre de Cyrano de Bergerac, depuis le casting des comédiens jusqu’à la première représentation.
Fixité
Le fait que la fiction soit infidèle à l’esprit du matériel historique n’est pas un problème per se mais le film ne se débarrasse jamais du carcan théâtral. Sur et en dehors de la scène, la moindre réplique semble prononcée avec affectation – on pourrait évoquer les plus banals échanges d’Edmond et de sa femme Rosemonde (Alice de Lencquesaing). La composition même des scènes relève d’une logique théâtrale, avec comme procédé usuel un travelling avant le long d’un couloir – dans les coulisses du théâtre, dans l’appartement conjugal, dans l’hôtel où réside Jeanne d’Alcie (Lucie Boujenah), la comédienne novice dont tombe amoureux Edmond – s’achevant sur un décor figé avec des personnages qui le sont tout autant. La pause, due à l’arrêt soudain de la caméra, et la pose des personnages se confondent alors et accentuent l’immobilisme de l’ensemble. Ce qui suit n’améliore pas ce qui précède : les répétitions s’enchaînent mollement, les acteurs débitant leurs vers sans parvenir à leur donner vie, les dialogues étant peu ou prou un décalque de ceux de la pièce aux Cinq Molières. Leurs échanges, filmés généralement en champ-contrechamp, ont quelquefois droit à un travelling circulaire plus inspiré, dévoilant tour à tour le jeu des comédiens. Ces scènes sont ponctuées, ici et là, du running gag maladroit et éreintant des producteurs corses libidineux (Simon Abkarian et Marc Andreoni) dont l’atout comique repose avant tout dans leur grivoiserie et capacité à forcer plus que de mesure leur accent. La figuration du réel ne passe de surcroît que par un amalgame de vignettes illustratives : le french cancan, le bar à absinthe, les cocottes du bordel comme autant de lieux communs qui surgissent ici et là sans impacter l’intrigue.
Élans créatifs
Ce que le film montre de plus intéressant réside peut-être dans l’étude de milieu, celui de la vie du théâtre, du métier des techniciens – un véritable artisanat – aux caprices des comédiens, comme ceux de Maria (Mathilde Seigner), jusqu’à l’hégémonie des financiers. Le cinéaste formule même quelques idées intéressantes sur la sacralisation des comédiens, qu’on ne voit quasi jamais en dehors de la scène, à l’exemple des moments furtifs où l’on entrevoit Sarah Bernhardt en diva excentrique. Mais sa scène la plus aboutie (l’une des rares à accoucher d’une véritable idée de mise en scène) se révèle être celle de la mort de Cyrano. Lors de la première et alors que les comédiens entament le dernier acte, une coupe nette fait basculer le film dans la fantasmagorie, propulsant le héros au milieu du cloître dans lequel il rend bientôt l’âme. En faisant appel, pour la première fois, à un décor naturel dans lequel les personnages évoluent librement, le cinéaste rompt avec la sensation de claustration résultant du perpétuel apanage des scènes. L’emploi de plans serrés sur les visages de Cyrano et Roxane, au moment des adieux, achèvent de donner à la scène une aura magnifique d’où jaillit « la vérité de l’émotion ». Cette émotion que le cinéaste évoque et qu’il échoue à tisser n’apparaît que furtivement lors de cette scène de fin, lorsqu’il s’affranchit enfin du cadre de la pièce, figurant la psyché des personnages par des moyens purement cinématographiques.