Présenté l’année dernière au Festival de Cannes (Quinzaine des Réalisateurs), le premier film de Benjamín Ávila aborde un thème dont la rareté – la répression militaire en Argentine à la fin des années 1970 – excuse rapidement le retard de distribution.
À cette originalité thématique s’ajoute d’emblée une singularité formelle : le récit de ces années de répression nous est raconté au travers des yeux d’un enfant. Ou plus exactement ceux de Juan, douze ans, contraint d’endosser une fausse identité lors de son retour à Buenos Aires avec sa famille, après des années d’exil. Les parents de Juan ainsi que son oncle Beto sont en effet membres de l’organisation politico-militaire Monteneros, qui tente de renverser la dictature militaire en place.
S’inspirant d’éléments autobiographiques – le cinéaste a perdu sa mère et a été séparé de son frère sous la dictature – ce premier long métrage explore les années douloureuses de l’histoire de l’Argentine, à travers le passage à l’adolescence d’un enfant également confronté à ses premiers émois amoureux. Le parcours initiatique du jeune Juan se confond ainsi avec une entreprise de dépersonnalisation, imposée par un contexte politique vécu comme la manifestation d’une agression arbitraire et violente. Si en explicitant les enjeux d’une répression sauvage le film instaure d’emblée un climat policier attendu, il tente néanmoins de renouveler ce genre par l’utilisation fréquente d’un point de vue subjectif, dont l’intérêt est de mêler une perception douloureuse de l’histoire avec l’imaginaire et les angoisses propres au monde de l’enfance.
Cette subjectivation du réel se donne dès lors à voir lors des nombreuses séquences animées, qui au lieu d’adoucir la représentation de la violence dictatoriale n’en font que ressortir la bestialité, telle qu’elle peut être vécue par un enfant de douze ans. Signalée par les effluves impressionnantes de sang, l’animation revendique ici une paternité tarantinesque, affichant une vitesse de succession de plans en décalage par rapport à une ambiance sonore pauvre, qui rappelle le meurtre sauvage de la mère d’O‑Ren Ishii dans l’anthologique Kill Bill 1. S’il partage avec ce cinéaste un goût affiché pour l’extrême violence, Benjamín Ávila parvient néanmoins à hisser l’animation à un degré supplémentaire de perception ; celle inconsciente, d’un militantisme scellé comme une forme suprême d’héroïsme. Qu’il mette en animation les angoisses ou les rêves du personnage, l’excès stylistique nous en dit alors moins sur le réel en lui-même que sur une perception enfantine démesurée, hantée et extrêmement touchante de l’Histoire.
Cependant, à force de vouloir démultiplier les angles narratifs comme pour mieux mêler l’imaginaire au présent et l’animé au réel, le cinéaste plonge dans un travers dangereux, car il assimile le militantisme à une entreprise certes courageuse, mais imprégnée d’un entêtement dont l’ambiguïté paralyse tout réel attachement aux personnages. La séquence du dîner houleux entre la mère et la grand-mère devient dès lors l’occasion de mettre à nu les limites d’un tel point de vue. Vécue à travers les yeux de Juan, cette scène de retrouvailles ne sanctifie pas seulement l’incorrection de la mère, mais choisit bien plus d’étouffer l’explication réelle des motivations des Montoneros par le biais d’une perception enfantine forcément limitée, qui évacue d’avance les questions les plus intrigantes de cette période sombre de l’histoire.
Certainement trop inventif pour totalement convaincre, ce parti-pris formel d’une subjectivité quasi-dictatoriale contraste pourtant avec l’exploration humble des premiers émois de l’enfant. La rencontre avec la belle Maria occasionne peut-être ainsi la séquence la plus touchante du film, grâce à une simplicité de cadrage et une économie sonore qui épousent parfaitement l’intensité du moment ; les yeux de Juan se posent, avec douceur et retenue, sur le corps dansant au ralenti de la jeune Maria. Preuve qu’il suffit parfois de peu pour transmettre les plus belles émotions de l’enfance.