En 2011 puis en 2013, la journaliste Anne-Dauphine Julliand racontait en deux livres, Deux petits pas sur le sable mouillé et Une journée particulière, sa propre expérience de mère perdant une enfant atteinte d’une maladie orpheline. Le succès public retentissant de ces deux ouvrages (260 000 exemplaires vendus en France pour le premier, 60 000 pour le second) a probablement conduit l’écrivaine à vouloir poursuivre ce travail introspectif et rétrospectif en passant derrière la caméra. Mais plutôt que de s’épancher sur son propre sort en ressassant l’épreuve que fut pour elle cette perte bien trop précoce, Anne-Dauphine Julliand fait ici le choix de transformer cette douleur en pont vers d’autres jeunes enfants gravement malades et hospitalisés, dont elle va patiemment enregistrer les petits et grands combats quotidiens. À la lecture du synopsis, on aurait pu craindre le pire d’un tel projet documentaire : indécence du regard, apitoiement de la caméra, voyeurisme, chantage à l’émotion. S’il faut bien concéder que la mise en scène ne révolutionnera pas le genre documentaire et que le résultat ne laisse pas vraiment d’autres choix que celui d’être très ému par ces destinées probablement funestes, force est de reconnaître que la réalisatrice – qui n’en est pourtant qu’à sa première expérience de tournage – évite bon nombre d’écueils, trouvant la plupart du temps la juste distance pour traiter son sujet. Dans le dossier presse, Anne-Dauphine Julliand fait d’ailleurs état de nombreux questionnements qui ont jalonné la réalisation du film et qui traduisent un souci sincère pour atteindre une forme de justesse capable de faire honneur à l’implication des jeunes participants au projet. Mais au-delà de ces problèmes éthiques de représentation qui semblent avoir été mûrement réfléchis en amont de la préparation du film, lors des repérages et des rencontres avec les familles, il y a aussi des choix délibérés de mise en scène et de montage qui donnent au résultat une intégrité dont il ne pouvait décemment pas faire l’économie.
Mosaïques d’épreuves
Pendant plusieurs mois, la réalisatrice a donc suivi le quotidien de cinq enfants de moins de dix ans : Ambre, Camille, Charles, Imad et Tugdual. Chacun fait face à la maladie avec ses propres armes, développe des qualités artistiques (Ambre aime le théâtre, Tugdual joue du piano) et s’évertue à passer du bon temps en s’amusant avec les autres enfants de leur âge. Malgré tout, il y a chez chacun d’eux une capacité à s’approprier les mots scientifiques qui désignent la maladie orpheline dont ils sont atteints, une lucidité face à la précarité de leur existence qui étonnent. Pour autant, il ne s’agit pas de rendre ces enfants prisonniers de l’univers hospitalier qui les accompagne et de ne les définir que par ce prisme : certes, les soignants et les enseignants sont là, mais souvent filmés bord cadre ou hors-champ, laissant l’espace du film se déployer entièrement au profit des enfants qui, semble-t-il, finissent par oublier la caméra pour se livrer en toute spontanéité. Ces cinq portraits hétérogènes auraient pu faire tomber le film dans un objectif de représentativité, limité à un inventaire à la Prévert qui aurait condamné le projet à n’être qu’un reportage de télévision de plus : seulement, le montage parvient ici discrètement à produire des résonances, à donner une ampleur à ces combats qui permet au film d’être bien plus qu’une somme d’instants volés. Le récit parvient également à composer une temporalité qui éclaire aussi sur le rapport qu’entretiennent ces enfants (et leurs parents) à la maladie : au découragement momentané peut aussitôt succéder une anodine scène du quotidien qui indique que, malgré le caractère exceptionnel de la situation, la vie suit son cours et l’instant présent prime sur le reste. Certains seront peut-être sceptiques devant cette leçon de courage qui mise avant tout sur la luminosité de ses sujets et le caractère résolument positif du message. Pour les contredire, on aurait probablement préféré que la réalisatrice ne cède pas à la tentation de passer en fond sonore la chanson homonyme de Renaud. Malgré ces réserves qu’on pourra justement exprimer, Et les mistrals gagnants ne faillit pas à l’objectif qu’il s’était fixé : faire preuve de générosité et ne pas instrumentaliser les enfants qui ont accordé leur confiance à Anne-Dauphine Julliand.