Présent dans de nombreux festivals et même plusieurs fois primé, Eva est un film d’une beauté plastique superbe et surprenante à qui il manque un scénario un peu plus puissant pour enchanter totalement…
Eva est d’abord un film qui plonge le spectateur dans un univers, dans une atmosphère. Cela débute avec un générique éblouissant : des gouttes mordorées, qui laissent parfois apparaître une image colorée, s’assemblent et forment une structure complexe. Puis commence le film à proprement parler… Paysages hivernaux, forêts sombres, étendues blanches où évoluent des hommes qu’on dirait sortis des années 1970 : lunettes massives, barbes épaisses, costumes cintrés aux couleurs froides (marron, gris, bleu). Mais, étonnement : ils parlent espagnol et ils sont accompagnés de robots… Ici, point de décor industrialisé sans nature, point d’intérieur high-tech en inox monotone, point de vêtements géométriques aux tissus farfelus. Kike Maíllo, qui signe son premier long-métrage, a voulu créer un monde à la fois distant et proche, et ce monde rétro-futuriste parvient parfaitement à susciter chez le spectateur un sentiment ambigu où se mêlent étrangeté et familiarité.
Le scénario, lui aussi, évolue de façon singulière : pas de batailles interminables entre troupes démesurées, ni de combat manichéen entre le bien et le mal. Eva propose un drame plus intimiste qui s’intéresse avant tout aux sentiments humains : Alex (Daniel Brühl), un ingénieur de renom est rappelé par la Faculté de Robotique, après dix ans d’absence, pour créer le premier robot libre : un enfant androïde. Il retrouve Lana (Marta Etura), son amour de jeunesse et son frère David (Alberto Amman) qui ont refait leur vie ensemble. Il fait alors la connaissance d’Eva (Claudia Vega), sa nièce de 10 ans qu’il veut prendre comme modèle pour son robot… Se pose peu à peu un certain nombre de questions: quelle est la responsabilité du créateur face à sa créature ? Est-il possible de nouer avec une machine des liens aussi forts qu’avec des hommes ? Y a-t-il un sens à aimer une machine en sachant que ce n’est qu’une simulation ? Le spectateur se laisse facilement prendre par cette histoire efficace qui ménage un certain suspense. Cependant, la force émotive et réflexive du film perd parfois de son intensité à cause de situations convenues et d’une fin traitée trop rapidement (les révélations et péripéties s’enchaînent sans laisser le temps aux personnages d’exprimer leur ressenti et de s’interroger plus ouvertement).
Si le scénario manque parfois un peu de force, il offre quelques belles scènes parfaitement mises en images. Les scénettes avec le robot à tout faire Max (Lluís Homar) et le chat Gris apportent judicieusement une touche de légèreté dans la montée de la tension dramatique. Les plans les plus mémorables restent ceux du laboratoire d’Alex où l’on retrouve les fascinantes gouttes mordorées du générique. Il s’agit, en fait de petits volumes de verre qui représentent un trait de caractère du robot; Alex les manie avec grâce et agilité offrant une chorégraphie surprenante de beauté (les effets spéciaux du film ont été plusieurs fois récompensés). Mais toutes ces prouesses technologiques
ne seraient rien sans le talent des acteurs, et en particulier de la jeune Claudia Vega qui interprète Eva. Mêlant la fragilité de l’enfance à la maturité de l’adulte, l’espièglerie à la gravité, la naïveté à la manipulation, ou encore la joie à la dureté, le personnage d’Eva séduit tout autant qu’il intrigue. Eva irradie le film et révèle les autres personnages à eux-mêmes : que ce soit sur un mode comique avec Max (elle imite son rire mécanique, ce qui fait à nouveau rire Max, qu’elle imite à son tour, et ainsi de suite) ou sur un mode plus dramatique avec Alex (notamment lorsqu’elle l’incite, malgré ses réticences, à poursuivre
ses analyses robotiques).
Eva est un film prometteur : Kike Maíllo a réussi à créer un monde fictionnel aux composantes originales dans lequel le spectateur se glisse avec le ravissement des enfants à qui l’on raconte une histoire.