Bercé par le récit d’une prostituée hispanophone, Exotica, Erotica, Etc. est une évocation, poétique et rare, de la relation mythique entre filles de joie et marins. Illuminé par le recul de la nostalgie, le récit de cette femme, désormais âgée et retirée, est porté par le souvenir des nuits partagées avec une multitude de marins grecs. La singulière audace de ce documentaire est d’aborder ce sujet par l’angle de la poésie, de l’amour, des sentiments que partagent Sandy et quelques autres prostituées pour les hommes qu’elles ont vu partir au matin. Ce regard sur la prostitution transporte le documentaire vers un versant romanesque, captivant. Il traduit le tragique de ces rencontres érotiques et relations intimes, qui laissent pleines de « tumeurs d’amour » ces femmes trop sentimentales, trop attachées aux corps délicieux des hommes, tandis qu’eux s’éloignent inlassablement vers la mer.
Pénélopes
Sans enjoliver en rien l’activité, Evangelia Kranioti aborde le sujet par son cœur – entendu aussi bien comme organe sentimental que comme centre névralgique : ses personnages, des marginaux qu’on considère rarement sous l’angle unique de leurs affections, prostituées ou marins coincés pour des semaines dans leurs navires. Eux aussi sont interrogés en voix off, notamment un capitaine grec, et racontent un autre attachement : leur amour inextinguible de la mer, de son immensité, qui semble remplacer par le jeu de miroir des images l’adoration des femmes. Alternant entre les gros plans sur sa protagoniste, la prostituée Sandy parfois montrée dans le plus simple appareil avec une authenticité et une sincérité désarmante, et d’autres prostituées, actives et plus jeunes, rencontrées lors d’une escale, la réalisatrice met en regard ces corps romanesques avec ceux des marins occupés au travail ou oisifs au long de leurs traversées exotiques. À tout cela répondent les plans de la mer immense et des bateaux qui la traversent, et noient ces relations dans le gouffre de l’absence.
Par son sujet, Erotica, Exotica, Etc. évoque la récente fiction de Lucie Borleteau, Fidelio ; et le documentaire propose une même tendresse pour ses personnages dont il fait des inadaptés au monde des conventions amoureuses. Un peu comme si la mer, rencontrée pour une traversée ou pour une nuit d’amour au port, les avait transformés, laissant dans les cœurs de tous le vide de son immensité. Grâce à ce regard délicat et honnête, la réalisatrice franco-grecque signe avec ce premier documentaire une ballade pénétrante au pays du désir et des sentiments.