À partir des années 1970 et pendant plus de vingt ans, Katia et Maurice Krafft, un couple de volcanologues français, ont étudié les volcans un peu partout dans le monde, de l’Islande au Japon, au plus près des projections de lave. Sara Dosa réalise avec Fire of Love un film majoritairement composé d’images tournées par le couple lors de leurs expéditions. Ces captations possédaient à leurs yeux deux principales vertus : d’une part observer avec un certain recul une éruption trop rapide à étudier en temps réel, et de l’autre la possibilité d’en tirer des films pédagogiques afin d’aider les habitants à adopter le bon comportement en cas d’activité volcanique. Quand bien même les Krafft ne se considéraient pas comme des cinéastes, ce qui frappe dès les premières minutes du film, c’est bien la splendeur du 16 mm, qui met en valeur la dimension scientifique des images autant que leur potentiel esthétique – notamment avec une composition intégrant le déplacement des investigateurs dans l’espace, ainsi qu’une profondeur de champ et un traitement des couleurs sublimant les différentes matières volcaniques. Le documentaire restitue bon nombre de visions fantasmagoriques, dont l’une des plus marquantes est celle du couple en tenue ignifugée au bord d’un volcan effusif qui donne au film son affiche. Le plan nous transporte dans une imagerie futuriste qui n’est pas sans rappeler celle du début de Total Recall de Verhoeven. Dosa s’amuse de ces références, que l’on retrouve en off dans les archives télévisuelles de l’époque : « Non non pas du tout, ce n’est pas un film de science-fiction, ce sont deux jeunes volcanologues qui dansent autour d’un volcan… » Ajoutée au caractère sidérant des images, l’attitude enfantine de Katia et Maurice offre au tableau une saveur encore plus singulière, Katia s’associant elle-même volontiers à l’image d’« une puce sur une casserole avec du lait qui déborde ».
Du fantastique, le film bascule parfois dans l’horrifique, les plans de coulées de lave dessinant de longues lianes noires vivantes et luisantes, assimilables aux nombreux bras d’une créature monstrueuse… Les cloques de lave esquissent ainsi des paréidolies – ici ou là l’œil d’un crocodile s’ouvre lentement et découvre une rétine incandescente. D’autres analogies, cette fois musicales, ponctuent également le film, comme par exemple le surgissement de compositions d’Ennio Morricone accompagnant des plans que l’on jurerait extraits d’un western, ou la chanson Je me sens vivre de Dalida, plaquée sur des images évoquant tout à coup l’amour et non plus l’horreur, par des coulées qui se joignent et fusionnent. Ces associations un peu évidentes n’en déclinent pas moins un ensemble d’émotions plurielles : Dosa démontre ainsi le potentiel cinématographique d’une réalité initialement capturée à d’autres fins.
L’empreinte manquante
Au-delà de ces échos ludiques, une ligne narrative structurante se sédimente peu à peu, celle d’une histoire d’amour triangulaire entre Katia, Maurice et les volcans. Pour accompagner la narration, l’artiste et cinéaste Miranda July joue la conteuse. Connue pour sa voix légèrement voilée et profonde, particulièrement alignée ici avec la force tellurique des paysages, elle ajoute une strate poétique au projet documentaire. Les voix additionnelles interprétant les écrits de Katia et Maurice s’apparentent en revanche à une fausse note : elles ne tiennent malheureusement pas la comparaison avec les voix originales des volcanologues, que l’on peut entendre dans les archives. Pire, elles viennent presque créer un dédoublement confus et contredire la force d’authenticité dont fait par ailleurs preuve le film. C’est d’autant plus regrettable que les autres ajouts sonores et visuels s’agrègent quant à eux avec davantage de finesse (animations de volcans, collages, masques de formes, mosaïques, mises en exergue textuelles, etc.).
D’éruption rouge en éruption grise, l’imprévisibilité de certaines explosions prépare le terrain à une issue que l’on devine tragique. Ce qui est très beau tient à la manière dont le film s’achemine vers cette fin par le truchement d’une variation des dispositifs d’enregistrement, lorsque l’on remarque soudainement Maurice près d’une éruption, désormais devant l’objectif, aux côtés de sa caméra 16 mm. Une vidéo plus amateure, captée par une tierce personne, remplace la captation des Krafft et, ce faisant, modifie à la fois la proximité, le point de vue et la texture de l’image. On devine alors, avec une certaine émotion, ce que signifie ce point de bascule : les volcanologues ne reviendront pas de cette exploration au Japon. La voix de Miranda July explique en conclusion que les marques imprimées sur la terre indiquent que Katia et Maurice sont morts l’un à côté de l’autre, ouvrant l’imagination à une image mentale laissée hors champ, ni filmée ni photographiée ; en somme, une empreinte manquante.