Prix du public lors de l’édition 2018 du festival War on Screen et « Cristal » du festival d’Annecy, Funan tire principalement son scénario des souvenirs de la mère du réalisateur Denis Do, une Cambodgienne ayant survécu à la dictature des Khmers rouges à la fin des années 1970. N’ayant pas vécu les évènements (il est né en 1985 à Paris) et encombré, de son propre aveu, d’une certaine culpabilité, le cinéaste a choisi de s’inviter dans le récit par l’entremise d’un personnage fictif, Sovanh, le benjamin de la famille. Trop jeune pour parler, ce dernier, resté seul avec sa grand-mère et envoyé dans un camp pour enfants après avoir été séparé de ses parents, sert principalement de témoin silencieux. Alter ego du cinéaste, ce garçon quasi muet entérine sa présence non pas comme participant, mais comme héritier et médiateur. Le récit alterne ainsi entre l’expérience de Sovanh et la survie de ses parents dans un second camp. Cette multiplication des points de vue innerve le film, qui balance entre écriture du vécu (les mémoires de la mère) et représentations fantasmées du passé.
Figurer l’atroce
Par conséquent, le film n’évite pas certains écueils, notamment la crudité de passages éminemment douloureux. À titre de comparaison, Le Tombeau des lucioles, qui situait son récit du point de vue de ses jeunes protagonistes, reléguait souvent la menace belligérante à la limite du hors-champ, au point de devenir une quasi abstraction, tandis que Funan n’a de cesse de replacer le contexte politique au premier plan. Au mutisme de l’enfant s’oppose d’ailleurs une tendance aux bavardages parfois stéréotypés et descriptifs des adultes.
De surcroît, Denis Do opte systématiquement pour le même substitut visuel lorsqu’il doit figurer les séquences les plus dures : les yeux écarquillés d’horreur des témoins de la scène. Ces gros plans récurrents uniformisent l’expression de la douleur de tous les personnages, comme si cette dernière était transmise des parents à l’enfant. On relèvera d’ailleurs une séquence assez affectée où Sovanh se tord de douleur en entendant les hurlements de ses proches. Passant à côté de son véritable sujet, le cinéaste propose ainsi une jonction des points de vue et des ressentis au lieu d’explorer plus profondément leurs divergences. Investi d’un projet commémoratif louable, il néglige cependant l’observation des conditions de survivance, ou au contraire de refoulement, d’une mémoire cambodgienne toujours à vif.