Qui était Diane Arbus ? L’une des photographes américaines les plus importantes du siècle dernier, dont les portraits bouleversants d’une « autre » Amérique, celle des marginaux, des freaks, de tous ceux qui mènent une existence hors norme, ont bouleversé le monde de la photographie des années 1950 – 60. Aujourd’hui encore, regarder les clichés de Diane Arbus, c’est accepter une frontalité dénuée de tout voyeurisme pour regarder droit dans les yeux ces siamois, travestis et autres géants qui peuplaient les foires et dont la photographe se fit l’ambassadrice auprès d’un monde obsédé par les conventions sociales et esthétiques. Jamais misérabilistes, ses photographies émeuvent par leur extraordinaire générosité.
Diane Arbus eut une existence peu commune : épouse d’Allan Arbus, photographe de mode, elle fut son assistante pendant plusieurs années avant de se décider à passer elle-même derrière l’appareil pour réaliser une série de portraits. Le couple ne s’en remit pas, et c’est après leur divorce que la carrière de l’artiste démarra véritablement, la conduisant notamment à être exposée au MOMA de New York en 1964. Souffrant d’une grave dépression, elle se suicida en 1971.
Comme son nom l’indique, Fur : portrait imaginaire de Diane Arbus est une tentative assez singulière et franchement intrigante de construire une fiction autour d’un personnage réel. Ce qui intéresse Steven Shainberg, ce sont les trois mois durant lesquels la jeune femme est passée du statut d’épouse modèle et sage assistante à celui de photographe atypique et résolument novatrice. Mais plutôt que de se baser sur d’éventuels documents qui permettraient d’offrir un compte rendu détaillé de ces quelques jours, le cinéaste préfère inventer de toutes pièces une histoire qui justifierait à elle seule les choix à venir de l’artiste. Programme ambitieux, chargé en métaphore : le destin professionnel et personnel de Diane Arbus aura donc, pour Steven Shainberg, les traits de Lionel (Robert Downey Jr), mystérieux voisin de la photographe, souffrant d’une maladie génétique extrêmement rare (et bien réelle) qui recouvre tout son corps et son visage de longs poils. Lionel sera donc l’ami, le confident puis l’amant de la jeune femme, l’introduira au monde des freaks et deviendra par la force des choses son premier sujet.
Ambitieux, donc… et raté. Shainberg aimerait bien réaliser plusieurs films à la fois, et n’en fait finalement aucun. Biographie ? Conte de fées ? Drame gothique ? Tout ça à la fois, et le pudding s’avère totalement indigeste. Comme si son histoire abracadabrante, lourdement inspirée d’Alice au pays des merveilles et La Belle et la Bête, ne suffisait pas à illustrer son propos, le cinéaste oublie toute tentative de suggestion pour souligner grossièrement les moments clés de son récit. Les parents de Diane sont fourreurs ? Sa libération passera par la découverte des poils de son voisin dans les tuyaux de canalisation de son appartement. Diane étouffe dans sa vie trop corsetée ? Elle s’en va dégrafer sa robe sur son balcon. Son mari commence à être sérieusement jaloux de ce voisin tout poilu ? Il se laisse pousser une barbe. Et ainsi de suite, ad nauseam.
Prétentieux, poseur, prétendument branché dans le traitement de l’image, des décors et des costumes (on croirait parfois une séance photo d’un magazine de mode, soit l’opposé du style de Diane Arbus), Fur ne se contente pas d’agacer. Car le véritable crime de cet improbable portrait, c’est d’aller finalement à l’encontre des intentions de la photographe. Là où la démarche d’Arbus était de montrer la beauté évidente de ce que le monde entier nomme « monstruosités », Shainberg se complait à pointer du doigt l’étrange qui vient faire vaciller le quotidien de « sa » Diane Arbus (incarnée par une Nicole Kidman dangereusement auto-caricaturale, entre fragilité de porcelaine et sensualité perverse). La marginalité est utilisée comme un révélateur pour l’héroïne, dont la fascination presque malsaine pour Lionel et ses amis lui permet de trouver le courage de s’émanciper et de vivre sa propre vie. Pourquoi pas ? Mais Shainberg réduit sa galerie à des silhouettes masquées de carnaval, où même le personnage de Lionel, le plus développé, se révèle terriblement creux, partagé entre deux notes : l’étrange et l’émouvant. Le final sur la plage, où un Lionel impeccablement rasé se suicide par noyade, est risible tant le cinéaste joue la carte du mélodrame outré.
Arbus était fascinée par l’humain et montrait que le quotidien était bien plus effrayant que les sujets qu’elle aimait tant photographier. Shainberg, lui, ne s’intéresse qu’à leur présence physique hors norme. Finalement, celui que l’on croyait idéal pour porter un tel projet à l’écran, après avoir raconté avec humour et tendresse l’histoire d’un couple sado/maso dans La Secrétaire, s’avère dénué de la générosité indispensable pour porter à l’écran l’incroyable destin de Diane Arbus, la photographe des âmes.