La petite bouille d’Eric nous est familière ; son insolence et son espièglerie aussi : l’ombre d’Antoine Doinel (héros des Quatre Cents Coups et autres de François Truffaut) plane sur le premier long métrage du réalisateur colombien Franco Lolli. Si le réalisateur admet que son film y trouve écho (d’autant plus que, diplômé de la Fémis, il habite en France depuis treize ans et s’est beaucoup nourri de ce cinéma), il a néanmoins emprunté des chemins narratifs assez différents pour évoquer la solitude de l’enfance.
Faire le bien ?
Jeune garçon de dix ans, Eric est ballotté entre ses parents et se retrouve un beau jour à vivre pour une durée indéterminée avec Gabriel, son père, qu’il connaît à peine. María Isabel, une bourgeoise attentionnée qui emploie Gabriel à des travaux de menuiserie, voit que celui-ci peine à joindre les deux bouts et à construire une relation avec son fils pour qui elle se prend d’affection. Elle se propose alors de le prendre sous son aile.
Le film ne se réduit pas à un simple portrait d’Eric mais porte sur son rapport avec les deux adultes qui l’entourent. Rapport d’argent, de classe et de morale entrent immédiatement en conflit. Dès le titre, la problématique est posée : « gente de bien » signifie à la fois les gens fortunés et les gens qui souhaitent faire le bien désignant ainsi le personnage-pivot de María Isabel. Apportant du confort à Eric, elle pense lui apporter du réconfort. Or, plus elle essaye de gommer les profondes inégalités sociales qui les séparent, plus celles-ci deviennent visibles.
D’abord obnubilé par cette vie d’aisance – le climax est atteint dans une très belle séquence de virée nocturne à cheval où Eric se laisse guider par María Isabel et oublie quelques instants le fossé qui les sépare – Eric ne souhaite finalement que retrouver un cadre familial équilibré. Il rejette tout autant la pauvreté de son père que la richesse de sa mère de substitution et peine à s’adapter au milieu de celle-ci (comme le démontre le plan qui figure sur l’affiche : Eric tout seul à droite devant la piscine de luxe et à gauche, ses camarades de jeu bourgeois qui s’accolent, unis). Avançant par petites ellipses narratives qui rythment bien le récit, le film révèle ces inégalités et ces incompréhensions sans jamais tomber dans le misérabilisme mais au gré d’un enchaînement de situations traitées de façon sobre et sensible.
Ce rapport complexe à la pauvreté débouche sur un questionnement sur les notions de bien et de mal. Cette problématique chrétienne qui irrigue le film s’applique aux deux adultes qui perdent petit à petit leurs repères, agissent maladroitement tout en pensant bien faire et perdent de vue le besoin fondamental d’Eric. Dans un style presque documentaire qui s’accorde bien avec le dépouillement du scénario, la caméra talonne de près les trois protagonistes. Lolli s’attarde beaucoup sur leurs visages et leurs tourments intérieurs laissant le récit avancer inexorablement vers une situation d’échec qui le teinte d’un triste pessimisme.
Abandon
Conte moral – le récit se déroule au moment de Noël – plus que simple chronique de vie, Franco Lolli pose un regard doux mais implacable sur la relation qui se tisse entre les trois personnages et c’est finalement le récit intimiste sur les rapports de filiation qui prend le pas sur la dimension sociale du film (bien que tout cela soit au fond inextricablement lié). C’est alors qu’il nous touche le plus. Jolie parabole, le personnage de la chienne Lupe, compagnon de route d’Eric et de Gabriel, enlevée par la fourrière puis retrouvée, périt d’un cancer car la somme requise est énorme par rapport aux chances de réussite d’une opération. Ce dilemme et la décision qui en découle font écho au sentiment d’abandon que ressent constamment Eric. Sa disparition a pourtant pour effet de rapprocher le père et le fils dans le deuil et permet à Eric de mettre en perspective la valeur des choses et de certaines actions. Alors que la première rencontre entre père et fils se fait dans la confusion d’une rue lorsque sa mère se débarrasse de lui, les deux marchant côte à côte sans se regarder, le dernier plan les suit de dos (un plan récurrent du film), le chien enveloppé dans un sac porté par le père, avançant vers un avenir précaire mais unis. Rien n’est plus précieux que la famille dans laquelle on naît, nous dit-il.