© Marine Danaux / Pathé
God save the Tuche

God save the Tuche

de Jean-Paul Rouve

  • God save the Tuche
  • France2024
  • Réalisation : Jean-Paul Rouve
  • Scénario : Philippe Mechelen, Julien Hervé, Nessim Chikhaoui, Jean-Paul Rouve
  • Image : Christophe Graillot
  • Producteur(s) : Ardavan Safaee, Mathieu Ageron, Maxime Delauney, Romain Rousseau, Christophe Garnier-Deferre
  • Production : Pathé, Nolita Cinema, TF1 Films Production, Beside Production, Les Films du Monsieur, Logical Content Ventures
  • Interprétation : Jean-Paul Rouve (Jeff Tuche), Isabelle Nanty (Cathy Tuche), Sarah Stern (Stéphanie), Théo Fernandez (Donald Tuche), Claire Nadeau (Mamie Suze), Pierre Lottin (Wilfried Tuche), Bernard Menez (le roi Charles III), Élise Larnicol (la reine Camilla)...
  • Distributeur : Pathé
  • Date de sortie : 5 février 2025

God save the Tuche

de Jean-Paul Rouve

Tuche pas à mon poste


Tuche pas à mon poste

Le ressort comique principal de God save the Tuche, cinquième volet de la saga portée par Jean-Paul Rouve et Isabelle Nanty, est le langage. Il en est d’abord question à propos des Tuche eux-mêmes, chômeurs du Nord-Pas-de-Calais à l’accent typique et à la syntaxe hasardeuse : des approximations de Cathy (« Je suis comme un coq en plâtre ») au charabia de Mamie Suze, en passant par les bégaiements de Wilfried, le film développe une esthétique du quiproquo et du comique de mots qui sert d’écrin au cabotinage de ses comédiens. Les dialogues de sourds occupent de fait une place centrale au sein de l’intrigue, en particulier lors du voyage en Angleterre qu’organisent les Tuche, invités à rencontrer le roi Charles à Balmoral. L’étrangeté caricaturale de leur phrasé est mise en valeur lors de scènes de traduction centrées autour du personnage de Stéphanie : se piquant d’être bilingue, l’influenceuse concentre (non sans un brin de misogynie) la plupart des gags par sa façon de baragouiner un mélange d’expressions françaises et de termes anglais incertains (« Fuck you » au lieu de « Thank you »), au risque d’enchaîner les vannes éculées. « Gordon, parlez-leur plus simple » : la phrase, lancée par Donald (le petit génie de la famille), pourrait ainsi résumer la posture du public à l’égard des Tuche – soit le maintien depuis presque quinze ans d’une distance moqueuse et un peu condescendante face au spectacle de leur inculture.

Comme les « Ch’tis » ou les « Marseillais » qui ont fait les belles heures de la téléréalité des années 2010, les Tuche s’apparentent en fait à des bêtes de foire dont on observe les bévues, film après film, au sein de milieux sociaux exogènes – qu’il s’agisse de Miami, de Monaco ou du palais de l’Élysée. Ce cinquième volet n’est pas en reste : tout juste arrivé en Angleterre, Jeff change l’heure de Big Ben (et provoque un krach boursier), avant d’oser serrer la main de Charles III, intolérable crime de lèse-majesté. Si la scène se termine bien (le roi, lui aussi, est un trublion), c’est que l’excentricité du héros est en réalité une manière d’affirmer sa liberté au sein de l’ordre établi, ce dont témoigne son parcours : abonné à Pôle Emploi « depuis 1983 » (un dialogue le précise), il gagne au Loto, devient millionnaire et président de la République. Dans God save the Tuche, les coups de folie de Jeff sont au cœur de plusieurs scènes dédiées à ses élucubrations, sortes de petits one-man shows que s’offre Jean-Paul Rouve, également réalisateur du dernier épisode de la franchise. Un exemple parmi d’autres : après qu’il a assommé par accident la reine Camilla avec une balle de croquet, Jeff se met à paniquer à l’idée d’être emprisonné. « J’vais aller au bagne, à Cayenne, et puis j’roulerai en Porsche, et j’mangerai du poivre, et du piment, avec Jean Valjean ! » Fondée sur une série d’associations implicites (Cayenne = bagne = Les Misérables) et de jeux de mots, la diatribe vient alors suspendre, l’espace d’un instant, le cours de l’histoire pour centrer la scène autour du déroulement chaotique des pensées du personnage.

À mesure que progresse l’intrigue, c’est finalement à Donald, le vilain petit canard de service, que revient le rôle de bouc émissaire. Enfant prodige promis à une brillante carrière d’ingénieur spécialisé dans l’écologie, il est le seul Tuche à avoir pleinement adopté les codes de la bourgeoisie : affichant ouvertement son mépris de classe à l’encontre des siens, il se fait par ailleurs le chantre d’une décroissance bien entendu radicale et impopulaire (il voyage à pied plutôt qu’en avion jusqu’à Oslo), conviction qu’il abandonnera toutefois très vite au contact d’une riche héritière britannique. L’amour du pétrole devient ainsi l’obsession de cette figure de pédant, auquel s’oppose le « bon sens » de Cathy et Jeff (qui branchent l’éolienne de leur jardin sur secteur pour regarder TF1). C’est dans cette ironie facile que se niche la dimension véritablement démagogique du scénario : parce qu’il donne le dernier mot aux époux, God save the Tuche oppose l’intellectualisme à la jugeote populaire, derrière laquelle le public est appelé à se reconnaître. Sous la satire à gros traits, le film dessine ainsi un portrait cynique de son audience-cible, porteuse de valeurs simples et vraies (l’amour, la famille), dénuée d’éducation politique et qui n’appréhende le monde extérieur qu’à travers le prisme de son téléviseur.

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