On connaît déjà précisément la biographie d’Himmler, ce partisan nazi de la première heure ayant adhéré au NSDAP dès 1923 devenu chef de la SS puis ministre de l’Intérieur du Reich après l’opération Barbarossa. Cerveau technique (avec Albert Speer) de la construction d’un grand nombre de camps de concentration dont Auschwitz, Sobibor, Treblinka et Majdanek, le « meurtrier du siècle » a également laissé une correspondance fournie récupérée lors de son arrestation par la 88e division de l’armée américaine. Ces sources privées sont à l’origine du film de Vanessa Lapa.
Le parti pris de départ est original : la réalisatrice a décidé de rompre avec une certaine linéarité de la narration historique sur grand écran qui fait de la voix off l’instrument tout puissant de la description visuelle. Elle est allée chercher des sources inconnues du grand public ‑la correspondance épistolaire d’Himmler avec sa femme, son frère, sa fille, son amante…- qui apportent un éclairage particulier (celui de l’intimité) si ce n’est un regard tout à fait nouveau sur le bureaucrate aveuglé. Sans excès de psychologisme, elle tisse au fil des lettres le portrait d’une inconscience familiale : celle d’un homme persuadé de sauver l’humanité et obsédé par sa propre participation à la purification du IIIe Reich, mais aussi celle de sa femme, sourde et muette aux faits qui l’entourent et de sa fille, Gudrun, encore aujourd’hui membre active de l’association d’aide aux anciens nazis.
L’originalité affaiblie par la quête scénaristique
Il est difficile au cinéma de rendre compte de la fixation du temps portée par l’épistolaire. The Decent One, dans ses premières minutes, s’accroche aux lettres, les illustrant sans plus d’effets d’images d’archives anodines (non légendées cependant). Mais, rapidement, les voies entremêlées ne suffisent plus pour Vanessa Lapa à la naissance et la représentation de l’horreur. Le film flirte alors rapidement avec les écueils du documentaire mémoriel : la contextualisation systématique par l’archive filmée de provenance inconnue apporte un fatalisme fictionnel (l’enfant Himmler jouant à la guerre devient l’embryon du monstre) comme si l’archive estampillait le montage et la scénarisation du sceau de la vérité.
Il est une nouvelle fois dommage de constater que ces images, parfois grossièrement mises en valeur (gros plan sur la croix gammée ou le cerf innocent d’une partie de chasse ; parallèles démonstratifs entre les lettres tendres à sa fille et les plans d’exécutions sommaires), ne soient là que pour illustrer, en n’entrant que rarement dans le processus de création filmique. C’est la petite force et la grande faiblesse du montage pot-pourri : il passionne parfois dans les détails qu’il apporte (notamment sur la culture éducative nazie que la réalisatrice ne devait pas trouver assez précise dans les échanges épistolaires) mais il évacue la question du point de vue. Le sujet de Vanessa Lapa, l’intimité d’un meurtrier, est écrasé sous le poids de l’histoire politique et militaire. Oublier les conditions d’écriture de ces lettres mais aussi de production des images montrées, c’est en faire des symboles presque utilitaires, c’est oublier que la représentation a toujours un sens originel que la scénarisation ne devrait pas lui enlever.