Le photojournaliste Danfung Dennis, réputé pour ses reportages en territoire afghan, a décidé en 2009 de suivre l’assaut d’une place forte des Talibans par un régiment de l’armée américaine. Il rencontre le sergent Nathan Harris et, lorsque celui-ci est rapatrié à la suite d’une sévère blessure à la jambe, décide de suivre son retour au pays. Un documentaire qui choisit le facteur humain comme règle de conduite, au risque de se diluer dans l’immersion.
Embarquer pour une zone de conflit avec un Canon 5D Mark II, un des appareils photographiques parmi les plus performants de ces dernières années, n’est pas le choix le plus évident qui soit. Mais Danfung Dennis y tenait : il s’est fabriqué un support à l’aide d’amortisseurs en caoutchouc et de boules Quiès pour soutenir l’appareil et reposer son bras, et s’est entraîné à la mise au point au jugé pour conserver une image nette. Le résultat est là : une image limpide, une lumière particulièrement belle et des prises de son faites sur le terrain renforcent l’image de guerre grâce à la captation de la sensation. L’Afghanistan devient ainsi une terre multicolore, où l’on découvre d’autres paysages que les habituels sable et rochers. Une frappe aérienne, la seule explosion du film, retrouve toute sa puissance dévastatrice : « On dirait que c’est Dieu qui a frappé » commente un G.I. L’immersion, rêve du photoreporter Dennis, est à son comble : nous sommes au cœur de l’action.
Fort heureusement, Dennis n’abuse pas du caractère impressionnant de ses images. Très vite, il suit le sergent Nathan Harris sur le champ de bataille, mais entrecoupe les images de la guerre avec celles du retour au pays du soldat Harris, blessé à la jambe. Le montage parallèle, qui s’appuie la plupart du temps sur le chevauchement du son sur l’image, fait alors l’aller-retour permanent entre l’Amérique, la rééducation (à la marche et à la vie privée) et l’Afghanistan, le front. L’alternance permet surtout de confronter la vision américaine de la guerre, défense de la « démocratie » et de la « liberté » et la réalité du terrain, où l’ennemi est invisible et la population malmenée. Une scène pendant laquelle Harris explique à sa femme Ashley qu’elle peut tirer à travers la porte si un inconnu veut entrer dans leur propriété (« la loi est avec toi »), suivie par les images des soldats américains défonçant les portes des maisons afghanes, est ainsi abordée d’une façon critique inédite. Le montage est l’outil principal de Dennis, qui abandonne du coup la voix off du documentaire.
La focalisation du documentariste sur l’individu, à mille lieux du récit de guerre habituel qui se concentre souvent sur le groupe de soldats, permet à Hell and Back Again de se concentrer sur le retour du front. Ici, on découvre un middle-class américain dans toute sa splendeur, qui veut voir « le dernier Halo », joue à Call of Duty 3 pendant son rétablissement, est parti à la guerre à 21 ans pour « tuer des gens » et « adore les armes », veut les « cajoler ». Et quand Dennis recule son objectif, on apprend qu’Harris est accro aux antalgiques et aux opioïdes, ou que sa femme, Ashley, exemple de dévouement et d’amour, s’inquiète du fait qu’il ait incroyablement « changé ».
Cette perspective individuelle vient desservir la force critique du documentaire, tant le gros plan permanent sur Harris occulte complètement le colonialisme économique, pourtant la composante majeure des guerres contemporaines. Dennis montre au spectateur la guerre comme possible défense d’un idéal individuel, mais est-ce réellement la seule motivation de l’interventionnisme, à plus grande échelle ? En somme, il y a bien le bruit et la fureur (surtout de vivre, tant Harris revenu du front souffre), mais qu’en est-il de l’idiot qui récite la fable ? À part l’image télévisuelle d’Obama, les acteurs politiques sont totalement absents du long-métrage, au bénéfice d’une insistance sur la sensation, qui sert, évidemment, beaucoup mieux l’immersion : la scène pesante du chef qui pleure ses troupes au retour du front n’était sûrement pas indispensable. Ici, c’est une immersion perdue d’avance, car forcément partielle, qui prend le pas sur l’acuité du documentaire.