Hyènes s’ouvre sur un montage alternant la marche d’un troupeau d’éléphants et celle d’un groupe d’hommes qui se rendent dans un café de fortune, planté en plein désert. Différents animaux de la savane seront ainsi mis en parallèle avec le monde des hommes tout au long du film. En cela, le mouvement humain apparaît conditionné par le mouvement animal, à l’image de ce taureau capturé — raccordé dans le mouvement avec la danse d’un personnage dans le désert — ou encore ce petit singe qui semble impulser une danse collective dans une épicerie. Cette logique de montage pose d’emblée la société humaine dans un rapport de symbiose avec le monde animal, en même temps qu’elle la replace dans un tout plus vaste, ici le Sahel, qui apparaît infini, peuplé de quelques installations sommaires (une tour de garde, quelques véhicules, etc.). Mais un animal en particulier revient plus souvent dans le film, la hyène. Là encore, sa présence est liée dans le montage à un groupe d’hommes lâches et corrompus, qui se repaissent d’un homme esseulé comme des charognards sur une carcasse. Ce « temps des hyènes » correspond, de fait, à l’arrivée imminente de la modernité qu’incarne l’implacable Linguère Ramatou (Ami Diakhate).
Le bouc émissaire
La communauté de Colobane, petite ville de la banlieue de Dakar où se déroule le film, est fondée sur un péché originel : quarante ans plus tôt, Linguère Ramatou est contrainte de quitter le pays, son amant, Dramaan Drameh (Mansour Diouf), refusant d’assumer la paternité de leur enfant. Entre temps, Colobane a subi de plein fouet la misère, au point que la mairie est saisie par des huissiers. Les habitants vivotent sous un soleil de plomb et se retrouvent autour de l’épicerie de Dramaan qui vend ses produits à crédit. C’est dans ce contexte que Linguère revient dans son village natal, plus riche que jamais (il est dit qu’elle serait plus riche que la Banque mondiale), animée d’un désir de vengeance. Pourtant, c’est moins la liasse de billets qu’elle sort en descendant du train qui intrigue que sa prothèse à la jambe, entièrement recouverte d’or, qu’elle aurait obtenue à la suite d’un accident d’avion. La vieille dame leur promet alors des milliards contre la vie de Dramaan, rachetant pour l’occasion le tribunal de Colobane afin d’asseoir son pouvoir.
La sorcière à la jambe d’or
Dramaan se voit alors confronté à la mue progressive de la société, à sa contamination subreptice. La jambe dorée de Linguère devient la métaphore de la corruption qui s’instille progressivement : une nouvelle dent plaquée or pour le maire ici, de nouvelles chaussures jaunes venues du Burkina Faso là, ou encore un magnifique lustre d’or qui vient ornementer l’église de Colobane. L’or corrompt peu à peu la communauté et la morale des habitants cède face à l’appât du gain. Ce processus de corruption culmine lors d’une grande fête où sont vendus des produits électroménagers.
Toutefois, la relation entre Dramaan et son bourreau reste ambiguë. Alors que les deux personnages arpentent ensemble le désert en évoquant le passé, Ramatou ne semble souffrir d’aucun ressentiment. C’est dans ces moments de suspension que le film donne à voir toute sa beauté, entre la trivialité et le sublime, portée par cette lumière dorée qui vient nuancer la noirceur tragique. Dans cette perspective, la fin laisse un sentiment ambivalent, Dramaan s’évaporant littéralement après son exécution lors d’une cérémonie d’apparence mystique. Le film se clôt alors sur le visage de Ramatou, qui s’enfonce dans une cavité et se soustrait à la lumière du soleil. Une fois le péché originel de Colobane réparé il ne lui reste plus qu’à disparaître, à l’instar de son ancien amant. C’est ainsi, dans l’apaisement, que se conclut Hyènes.