Avec I Am Because We Are, Nathan Rissman, l’homme à tout faire de Madonna, tour à tour assistant, directeur artistique, archiviste vidéo ou jardinier, est promu au rang de documentariste. S’il tient la caméra, le film reste pourtant celui de la star, productrice et narratrice d’un documentaire dont les intentions plus que louables sont entachées par une réalisation aux allures de clip promotionnel.
Beau sujet que celui de ce film, dévoilant la réalité d’un petit pays africain dont l’ampleur des maux n’a d’égale que la maigreur de l’intérêt médiatique qu’il suscite. Le Malawi, enclavé entre le Zambie, le Mozambique et la Tanzanie, mérite tout l’intérêt que Madonna et Nathan Rissman souhaitent lui porter. Ce pays rural suffoque en effet aujourd’hui sous des difficultés économiques, financières, sociales et sanitaires incommensurables, longtemps masquées par le régime dictatorial post-colonial. Plus que touchant, ce film semble a priori nécessaire. Comment ignorer la détresse de ce pays décimé par ce mal moderne qu’est le SIDA, ce mal effrayant, suscitant tant de peurs et de discriminations hâtives et abusives, ce mal apparemment incontrôlable qui laisse tant d’orphelins derrière lui ? Nous sommes humains, donc forcément sensibles au sujet de ce film, sachant que trois millions d’individus périssent encore du SIDA chaque année dans le monde.
Mais ce documentaire a malheureusement plus d’un défaut. Le principal, et non le moindre, réside dans sa construction même. Ce film est conçu de A à Z pour être diffusé sur un grand network en prime time, à l’heure où des téléspectateurs américains repus seront assez sensibles et intellectuellement disponibles pour réagir à une heure vingt d’appel au don. Le film s’achève ainsi sur les coordonnées du site où les donateurs pourront faire leur B.A. La musique, omniprésente, relève d’un objectif lacrymogène peu discret, mais s’avère plutôt contre-productive. Il se dégage bien peu d’émotions d’un film au sujet si grave et fédérateur. Trop d’effets tuent l’effet. Cette longue publicité pour la cause des orphelins du Malawi, à laquelle Madonna a été sensibilisée par une directrice d’ONG, finirait par énerver. Cette sensation d’agacement est d’ailleurs plutôt gênante : humainement, nous sommes touchés par les portraits de ces enfants, mais la réalisation clippée d’I Am Because We Are nous les tient sans cesse à distance. En revanche, ce que l’on ressent vraiment bien, ce sont les points de ruptures entre les diverses séquences thématiques, d’une dizaine de minutes chacune, où l’on sait déjà que viendront se glisser les coupures publicitaires lors des diffusions télévisées du film aux USA. La progression narrative semble avoir été uniquement pensée en fonction de cette contrainte marchande, en s’organisant autour de modules courts (un lieu, un personnage, une histoire) et de résumés ponctuels (pour ceux prendront le film en cours de route à la TV). Le visionnage intégral et unitaire du film suscite de ce fait une certaine fatigue, tant le propos finit par être répétitif, plus démagogique que pédagogique.
Certains choix graphiques relèvent d’une maladresse certaine, voire d’un mauvais goût avancé. Chaque séquence est évidemment composée de plans courts, laissant peu de place à l’accouchement d’une parole souvent difficile, douloureuse, mais authentique et instructive. Les témoignages d’enfants orphelins et malades, de jeunes victimes de violences communautaires, de mères aux portes de la mort constituent la vraie richesse de ce film. Pourtant la parole de ces autochtones est bien souvent réduite à l’essentiel (la phrase qui fera pleurer les occidentaux). Elle reste noyée dans le propos général du film, conduit par la voix gentille et émue d’une Madonna au timbre adolescent, investie comme à son habitude d’une mission quasi mystique : « Je n’ai pas choisi le Malawi, c’est le Malawi qui m’a choisie », annonce-t-elle en ouverture. Cette émotion artificielle, fabriquée par la narratrice-star, empêche l’émotion réelle, que des images documentaires brutes pouvaient provoquer. Ces images-là, nous ne les verrons pas : la déchéance du Malawi est sublimée par l’insertion récurrente de clichés photographiques en noir et blanc, permettant de fictionnaliser la mort et d’enrober d’un vernis artistique les corps décharnés et les cadavres putréfiés. Le mal est ainsi tenu à une distance raisonnable pour pouvoir être regardé en face. Ces photographies, ponctuant le film à intervalles réguliers, relèvent d’une obscénité certaine : chez la sensible Madonna, la mort est outrancièrement belle. Les quelques séquences d’interviews, à visée informative, obéissent aux règles de l’art dans leur dispositif. Elles servent surtout à créditer le caractère sérieux du film et permettent de faire taire quelques temps la voix de Madonna, au profit de celle d’un individu censé connaître le terrain de façon plus approfondie. Mais jamais le spectateur n’est laissé libre de réfléchir aux images par lui-même.
La sincérité de la démarche initiale de Madonna, très impliquée dans l’engagement humanitaire au Malawi, n’est pas à remettre en cause. En revanche, les ambitions artistiques et pédagogiques de son film nous contraignent à en révéler les trop nombreuses maladresses. À vouloir sensibiliser le public à une bonne cause, on a parfois tendance à en faire trop, par excès de bonne volonté. Le propos d’I Am Because We Are devient même pompeux, cherchant à culpabiliser les spectateurs pour tous les maux de notre planète. Par le biais de courtes séquences d’images au rythme presque subliminal, Madonna et Rissman nous rappellent les violences des guerres, la dérive des enfants-soldats, les catastrophes écologiques, les méfaits de la globalisation, de la surconsommation, de la technologisation… En une poignée de secondes, on nous montre une humanité au bord du gouffre et l’on cherche à nous culpabiliser, dans le but de nous inciter à donner pour les orphelins du Malawi. Après ce petit geste pieux, miraculeusement lavés de tous nos vices, nous pourrons remercier la Madone…