Il était une fois un meurtre s’ouvre dans un appartement obscur, où deux hommes regardent un film qu’on devine sulfureux, avant de partir en chasse dans la campagne ensoleillée. Ils croisent une petite fille à vélo qu’ils poursuivent jusque dans un champ, où l’un d’eux la viole et la tue sous les yeux de son complice passif. Saut de vingt-trois ans : le complice a changé de nom et est devenu père de famille, la mère de la victime vit dans le souvenir, le policier chargé de l’enquête à l’époque et qui vient — tiens donc — de prendre sa retraite rumine encore son échec. C’est alors qu’une autre petite cycliste disparaît dans des circonstances strictement identiques, même l’endroit où on retrouve son vélo. On en est sûr, c’est le même coupable — mais pourquoi revenir après tout ce temps ?
Un détail ne manque pas d’interpeller sur l’aspect mécanique et verrouillé de ce qui se déroule sous nos yeux. Alors que la disparition de la seconde victime est mise en ellipse et que la similitude des circonstances à celles du premier crime tient à des détails connus du grand public, pas un instant les personnages ou le scénariste-réalisateur Baran bo Odar ne remettent en cause l’idée, immédiate, que ce serait bien le même assassin qui, conformément au dicton, serait revenu sur les lieux de son forfait pour remettre le couvert, et non un autre pervers bien renseigné qui s’amuserait à raviver de sinistres souvenirs. Mais Bo Odar, de toute évidence, ne compte pas aller plus loin que cette approche : se complaire dans la facilité des ressorts dramatiques et psychologiques en espérant qu’en étant assez crapoteux et pessimiste, l’ensemble impressionne et se donne un semblant de crédibilité.
Cela tombe d’autant plus mal qu’il fait mine de jouer à fond sur la corde psychologique du genre. Or en fait d’introspection psychologique, il offre un chapelet d’archétypes dont il est incapable de faire autre chose que ce qu’ils sont : des archétypes, comme piochés dans d’autres œuvres ou dans des récits de faits divers, et dont la caractérisation par la mise en scène trahit le statut et le destin dès qu’ils apparaissent à l’écran. Les parents bourgeois maladroits de la seconde victime ? On lit sur leur visage qu’ils vont prendre cher, que la culpabilité va les ronger sans rémission, que leur couple ne tiendra pas. Le vieux flic à la retraite accroché à sa revanche, la mère qui attend que justice soit rendue ? Il est évident qu’ils vont vouloir mener leur enquête parallèle, quitte à perturber le fonctionnement de la justice dûment mandatée. Cela devient même pathétique quand Bo Odar se pique d’introduire des cas psychologiques plus extrêmes. Il suffit de voir le jeune flic dépressif depuis la mort de sa femme (nouvel archétype connu), censé être reconnaissable parce qu’il arrive sur une scène de crime mal rasé, l’œil éteint et la chemise hors du pantalon, et évidemment en butte à une hiérarchie bête comme ses pieds. Sans surprise, l’évocation de la pédophilie fait pareillement peine à voir. La caméra prétend capter frontalement les signes du désir interdit et la manipulation de celui-ci par autrui (le meurtrier de la première fillette), mais ne réussit à exprimer que les efforts techniques déployés pour rendre crédibles et menaçants des raccourcis, ceux que l’auteur emploie pour parler de ce qu’il ne connaît évidemment pas, n’a aucune réelle idée de ce à quoi cela peut ressembler, au point de flirter avec le préjugé louche associant pédophilie et homosexualité.
Petit bréviaire de la noirceur du film policier
Ces archétypes (à commencer par ce complice, pédophile à la rédemption illusoire, à qui on ne laisse guère d’autre rôle que celui de bouc émissaire de l’intrigue) sont moins des personnages que des moyens pour le réalisateur de réciter à peu de frais son petit bréviaire de la noirceur dans le genre policier. Sur la base d’un roman (Le Silence de Jan Costin Wagner) et de son adaptation supposés offrir un panorama d’âmes humaines par le prisme d’une affaire criminelle, il croit n’avoir besoin que de donner le change sur le plan technique pour être pris au sérieux. Alors, il monte le son : celui d’un coup mortel porté à la petite pour être sûr que cela glace le sang, du nappage musical beuglant le malaise et l’inquiétude, des boum-boum martelant la segmentation par jour à la Seven sans que le décompte du temps qui passe et le ramassage des événements apportent quoi que ce soit au film. Et il se simule en cinéaste scrutant impitoyablement le mal à l’œuvre par quelques zooms qui ne révèlent rien d’autre que son envie de zoomer, son plaisir solitaire à s’ébrouer sur un matériau de pure convention sur lequel il ne travaille qu’en technicien appliqué à impressionner le public.
La fin aura beau avoir été écrite pour un pessimisme déprimant, elle n’aidera guère le film à dépassera l’horizon entrevu dans une scène montrant le meurtrier encapuchonné comme dans tout mauvais thriller qui se respecte : celui d’un académisme dérisoire, voire grand-guignolesque dans son emphase à surligner son travail sans réel enjeu. Il était une fois un meurtre est un triste exemple du piège auquel s’expose un film de genre trop assuré d’être plus que ce qu’il est. À l’origine, la fiction policière, placée du point de vue des forces de l’ordre, relève d’un imaginaire essentiellement conservateur, où l’ingéniosité perverse d’un criminel serait tôt ou tard mise en échec par l’analyse scrupuleuse des traces qu’il aurait laissées par un honnête homme perspicace et moins faillible que lui. En évoluant, en entrant plus en résonance avec la société contemporaine, en étant parfois travaillés par de vrais auteurs conscients du monde (Lang au cinéma, par exemple), littérature et cinématographie de ce genre ont appris à déjouer quelque peu cette attente trop rassurante, à se départir de ce manichéisme et de cet optimisme. Revers de la médaille : trouble, pessimisme et noirceur sont devenus à présent des normes, des composantes à ce point anticipées et calculées que, sans mise en perspective intéressante, elles tendent à perdre de leur sincérité d’évocation et donc de leur pertinence. Soit, au fond, une nouvelle forme de conservatisme, auquel un film comme Il était une fois un meurtre sacrifie crânement.