« La Méditerranée a son tragique solaire qui n’est pas celui des brumes. » Sous la lumière du paysage sicilien, dont la clarté contraste avec la mélancolie des protagonistes d’Il mio corpo, Michele Pennetta dresse les portraits interposés de deux êtres éloignés, qui n’ont en commun que leur désir de fuir une dure réalité. Le film s’ouvre sur le visage endormi d’Oscar, jeune garçon au regard ténébreux et fatigué, appuyé contre la vitre d’une camionnette, son corps abandonné aux secousses du moteur ; c’est le début d’une longue journée qu’il passera dans une décharge avec son père et son frère à la recherche des bouts de ferrailles qui font le gagne-pain de sa famille. Quelques séquences plus tard, la scène se rejoue, mais cette fois-ci en s’attardant sur le visage de Stanley, jeune réfugié nigérien, endormi contre la vitre d’un bus, après avoir fait le ménage dans une église en échange de quelques courses.
Pennetta filme ces personnages réels caméra à l’épaule, pour se tourner davantage vers leurs corps que leurs propos, qui se font rares. Le regard du réalisateur, en retrait mais empathique, donne à sentir le poids qui pèse sur leurs épaules : pour Oscar, celui d’être arraché à son enfance, et pour Stanley le fardeau de l’exil et de la solitude, redoublée quand son ami et colocataire disparaît suite à l’annonce du rejet de sa demande d’asile. Le montage parallèle, qui rapproche et met en tension leurs destins, cherche moins à tisser des liens narratifs qu’à créer des correspondances sensibles et émotionnelles. Dans le même mouvement, l’ellipticité du récit et sa focalisation sur des scènes-clés du quotidien accordent un caractère universel à la difficulté des personnages à trouver leur place, au sein de sa famille pour Oscar et au sein de la société pour Stanley.
Si le film court le risque de se contenter d’un constat sans appel sur les souffrances dont il témoigne, quelques rares scènes solaires permettent aux deux figures d’exister en dehors de leur dure condition (la scène du vélo pour Oscar, les scènes de la baignade ou de la danse pour Stanley). C’est en recourant à la fiction que ce film hybride déploie une dimension quasi onirique, en permettant de faire advenir la rencontre qui n’aurait pas pu s’effectuer autrement : un point de lumière surgit de l’obscurité à travers la lampe torche de Stanley avant de croiser le halo de celle d’Oscar ; puis, lors d’une séquence d’une belle simplicité, on retrouve les deux corps au repos, Oscar allongé dans le lit de Stanley et lui assis à ses côtés. L’apaisement de cette image presque mentale (par l’impression d’irréalité qu’elle procure) est atténué par le rappel à la réalité d’Oscar que l’on revoit endormi dans la camionnette comme au début du film, cette fois-ci sous l’air de Stabat Mater de Pergolèse. Malgré la dimension fatidique de cette fin, ce qui subsiste est la lumière émanant des protagonistes ; une lumière qui, espérons-le, continuera de les habiter au-delà du dénouement.