Le premier film de cette Russe de 23 ans, en lice l’an dernier à Cannes pour la Caméra d’or, met en scène la vie de trois lycéennes : trois amies, trois jeunes femmes avides de découvertes, trois contextes sociaux et familiaux, trois façons de tenter de se débrouiller avec les grands sauts que cet âge fait vivre. Rebelle, heurté, violent, Ils mourront tous sauf moi ! est de la matière brute dont on fait les grands films.
Katia, Vika, Janna. Trois lycéennes de quatorze ans, de la banlieue de Moscou. Trois figures de l’adolescence, jolies, coquettes, révoltées. Un nouveau portrait de cet « âge tendre » et son lot de passages obligés ? Le film va bien au-delà de ça. Car Valeria Gaï Guermanika, pas si éloignée elle-même de l’adolescence, fait prendre à son histoire le virage de la noirceur la plus crue.
Le scénario se concentre autour d’un événement attendu : la soirée du lycée, porteuse de promesses de fête, de flirts, d’expériences repoussant l’enfant qui est encore dans ces jeunes filles. Alcool, drogue, sexe, la boum est le lieu de tous les interdits dans lesquels le trio s’impatiente de plonger. L’attente de cet événement a priori banal est l’occasion pour la réalisatrice de faire vivre à ses protagonistes des tourments jusqu’alors inconnus : jalousies, trahisons, passage de l’amitié à la haine, confrontation à la brutalité du monde des aînés.
C’est dans le basculement du lien qui unit ce trio que la cinéaste se révèle la plus douée. D’un cocon d’amitié qui protège de tout, des parents, des profs, de l’âge adulte, les jeunes filles passent à la brutalité d’expériences individuelles où plus rien ne les protège. Guermanika voit juste dans le regard qu’elle pose sur l’adolescence, car, bien loin d’en occulter la violence, elle la met en exergue. Sa mise en scène s’en ressent, avec ses caméras portées à l’épaule, ses mouvements brusques de décadrages soudains, son montage très haché. On navigue tout à la fois avec délice et angoisse entre le monde des petites filles qui s’échangent leurs sucettes et celui où elles repoussent leur limites, devenant autres face aux coups : Janna en coma éthylique dans les toilettes du lycées, Vika englobée dans un groupe de garçons qui la manipulent, Katia, enfin, qui subit un viol. Plus encore que cette violence, Guermanika a saisi ce qui fonde la dureté de l’âge adolescent : le passage d’un extrême à l’autre, d’une certitude à son opposé.
Il ne s’agit pas dans ce film de montrer la naissance à un âge plus adulte, et on ne peut pas véritablement parler de roman d’apprentissage : les personnages restent dans l’adolescence tout en encaissant les chocs, en apparence. La fin du film en témoigne, où personne ne ressort grandi, mais où chacune des filles se retrouve encore plus seule, le délitement du trio parachevant le tableau noir.
Hirsute, sauvage et brutal, Ils mourront tous sauf moi ! livre aussi, par petites touches, quelque chose de la Russie contemporaine. Une modernité qui parait absente du décor, le spectre du chômage, une forme de désespoir et d’envie de brûler la vie par les deux bouts. Mais si le portrait de ces adolescentes soldates est aussi saisissant, c’est qu’il aurait pu prendre pour cadre n’importe quel autre lieu de la planète. Et si le résultat final est si impressionnant, c’est que Valeria Gaï Guermanika sait déceler les ambiguïtés des différents personnages, pour ne jamais en faire des prototypes mais toujours surprendre son spectateur.