Il y a la guerre, aujourd’hui, et il y a l’Irak millénaire, bien avant Saddam Hussein, bien avant les Américains. Ce sont ces racines de l’Irak contemporain que montre Layth Abdulamir, réalisateur en exil. Le « chant des absents », c’est celui de toutes les ethnies et de toute les religions qui forment le peuple irakien.
Al Fao, riche palmeraie aujourd’hui presque détruite, Bassorah, la misère là où devrait régner l’abondance, Nasiriyah, la ville qui chante, Najat, ville sainte, ville de l’imam Ali, l’un des pères du chiisme, Bagdad, quinze fois occupée dans son histoire. Des marais du sud aux confins – enneigés ici – du Kurdistan, Irak, le chant des absents est une sorte de voyage initiatique, pour le réalisateur et pour le spectateur.
Pour le cinéaste d’abord, dont la tête avait été mise à prix sous le régime du Raïs, qui a quitté son pays il y a vingt-huit ans sans jamais y retourner. La chute de Saddam, le fait des Américains (qui ne sont évidemment pas montrés ici uniquement comme des libérateurs, plutôt sous l’image de jeunes GI’s dépassés et ignorants de la culture moyen-orientale) lui a permis de revenir. Ses trente ans loin de sa terre natale expliquent le mieux le produit du film ; d’une part, il y a la volonté de montrer cette terre de l’intérieur (Layth Abdulamir est lassé de voir le monde entier prononcer des discours plein d’inanité sur l’Irak, frustré que des étrangers s’emparent des images de son pays pour cause d’actualité guerrière), et d’autre part, en plus de cette dimension réelle d’un pays raconté par l’un de ses enfants, des morceaux d’imaginaires se greffent au matériau filmique. Trente ans, c’est long, et pour comprendre l’Irak, même si on y est né, il faut aller partout, à la rencontre des différentes ethnies, des différentes religions.
Pour le spectateur ensuite, le film-documentaire est une initiation, un pied de nez aux reportages des JT, une respiration loin du pétrole, des débats sur le traitement journalistique des guerres du Golfe, 1991 et 2003, du sang et des armes. La force du réalisateur consiste à garder, tout au long de son film, le rythme imprimé par le fil de l’eau ; c’est un documentaire qui prend son temps, et même si la caméra numérique ne produit pas un résultat des plus esthétiques, ce qui est montré de l’identité des habitants dépasse cette dimension. Comment ne pas être fasciné par la ziggourat d’Ur, première ville de l’humanité, ville d’Abraham et des rois sumériens ? Comment ne pas être happé par les valeurs traditionnelles bédouines, ou encore par les transes chiites qui reconstituent le mythe d’Hussein, le fondateur de cette branche de l’Islam ? Ou une fois de plus interpellé par l’avenir du peuple Kurde, sans terre propre ?
Une grande intelligence que ce Chant des absents, ce « cahier d’un retour au pays natal » sauce orientale. Un souffle au milieu de tous ces documentaires trop militants, bourratifs, aux argumentations forcées, qui tente juste de restituer la vérité d’une terre. Un vrai voyage, entre virtuel et réalité. Passionnant.