La peur, la trouille, la terreur la plus profonde, la plus viscérale, sont au cœur même d’It Comes at Night, à la fois son sujet et sa finalité. La peur de quoi, exactement ? De ce qui nous rend tout à la fois monstrueux et humains, irrationnels et banals : la peur des autres. Le second film de Trey Edward Shults est terriblement roublard et, pourtant, bien plus terrifiant encore que ce que son titre et toute la campagne promotionnelle qui l’accompagnent laissent espérer. C’est presque un tour de force pour un film d’épouvante contemporain : jouer avec les ressorts de l’attente et de l’inévitable déception, puis emmener le spectateur dans une toute autre direction pour lui montrer une horreur bien pire encore que tout ce qu’il pouvait imaginer.
En jouant dès les premières minutes avec les codes du hors-champ, Trey Edward Shults ne réinvente pas le cinéma d’épouvante mais propose une forme d’alternative à ce que le genre produit de façon binaire depuis quelques années. La frontalité gore intéresse moyennement le cinéaste, qui privilégie la suggestion dans son plus simple appareil : l’horreur absolue est évoquée, rarement montrée, l’intérêt étant plutôt dans les effets d’une situation cauchemardesque sur des personnages a priori sans grand relief. Un homme, sa femme, leur fils adolescent, enfermés dans une maison au fond des bois, soigneusement barricadée pour se protéger du monde extérieur dont on ne saura rien, si ce n’est qu’il est en proie à une épidémie qui tue les gens en moins de 24 heures. Surtout, il ne faut jamais, jamais sortir la nuit, et tenir la porte soigneusement fermée à double tour. Jusqu’au jour où un homme parvient à rentrer. Qui est-il ? D’où vient-il ? Et, surtout, que veut-il ?
Jusqu’en enfer
Le hors-champ est ici un parti-pris scénaristique tout autant qu’un choix de mise en scène, et si l’on ne voit pas grand-chose tout au long du film, on n’en sait guère plus sur ce qui se passe en dehors de la cellule familiale que le père (Joel Edgerton, ici plus que jamais le clone contemporain du Kurt Russell des films de Carpenter) souhaite protéger coûte que coûte. L’intrusion d’un corps, et donc d’un point de vue, étranger à celui du « héros » et de sa famille viennent instantanément remettre en question ce que le film a posé dans ses premières minutes. Trey Edward Shults tire très habilement les ficelles de son film sans jamais tomber dans les pièges du twist à la petite semaine. Ce qui intéresse le cinéaste est moins ce que peut contenir le hors-champ, mais ce que celui-ci dit sur ce qui est montré au spectateur, ce qu’il révèle des personnages et de leur rapport au monde et aux autres. L’étranger est ici un potentiel ennemi, puis un allié, jusqu’à devenir un membre à part entière de la famille… jusqu’à un certain point. Les retournements de situation empruntés par le scénario n’ont pas ici vocation à embarquer le spectateur dans l’habituel tour de train fantôme auquel la plupart des films d’épouvante ressemblent aujourd’hui, mais plutôt à faire face à des questions morales résolument inconfortables, jusqu’à un dénouement bien plus terrifiant que les hordes de zombies sanguinaires qui peuplent les épisodes de la série The Walking Dead, à laquelle le film semble tendre un miroir déformant.
Délesté de tout discours méta, sans aucune ironie, It Comes at Night est à regarder et comprendre au tout premier degré. Son sérieux et sa gravité assumés, revendiqués même, frôlent parfois l’emphase : on se serait bien passé par exemple de cette musique stridente qui vient souligner un malaise que Trey Edward Shults sait distiller avec très peu de moyens, très peu d’effets… Mais le cinéaste propose un véritable voyage dans les tréfonds de l’horreur la plus pure, jusqu’à un dénouement qui laisse le spectateur dans le même état d’hébétement que ses personnages. D’aucuns pourront se sentir floués par le caractère volontairement trompeur du film qui, de son titre à son motif principal (ce qui se cache la nuit dans les bois et souhaite franchir les limites de la porte rouge qui illustre l’affiche), joue la carte du MacGuffin cher à Hitchcock. Qu’importe : le cauchemar mis en scène par Trey Edward Shults trouve sa source à l’intérieur même de la maison, en chacun des personnages et, partant, en chacun de nous.