Brûlot cynique et nihiliste, Kill Your Friends s’inscrit pleinement dans la filmographie d’Owen Harris, remarqué pour ses réalisations télévisuelles (Misfits, Black Mirror) où la violence, l’absurde et une certaine misanthropie cohabitaient allègrement.
Sans rime, ni raison
En 1997, alors que le numérique prépare son coup d’état, les maisons de disques se gavent encore des royalties engrangées par leurs poulains musicaux. Portés par la déferlante britpop (Oasis, Radiohead) et la mode des girls bands (Spice Girls en tête de gondole), les labels britanniques croulent sous l’argent et l’obligation de pondre du tube au kilomètre. Steven Stelfox (Nicholas Hoult), jeune arriviste et directeur artistique junior à Unigram ambitionne de grimper les échelons, quel que ce soit le coût de cette ascension. Meurtre, chantage, trahison, tous les coups sont permis dans cette industrie d’un cynisme ogresque, où la musique n’est qu’un moyen de s’enrichir, de parvenir, de régner. On l’aura compris, Kill Your Friends tord le cou à la légendaire image sixties du producteur féru de rock, passionné et intègre musicalement. Le business a pris le dessus sur la qualité des produits et qu’importe la vulgarité d’un titre pourvu qu’il se hisse en haut des charts. L’apparition d’un DJ allemand (Moritz Bleibtreu, absolument formidable d’excès et de lubricité) marchandant son ignoble dance music au plus offrant ou la composition aléatoire d’un groupe de Londoniennes décérébrées mises en concurrence avec les « filles épicées » laissent entrevoir les coulisses de la fabrication d’un hit, l’amoralité pernicieuse des directeurs artistiques et finalement les prémisses qui conduiront à leur perte les maisons de disque quelques années plus tard.
De la vraisemblance de l’excès
Suivant le parcours chaotique du protagoniste, le film brosse le portrait d’un capitalisme fou qui dirige une entreprise culturelle à la manière d’un fond d’investissement. La brutalité des rapports, corollaire inévitable à cette tendance du toujours plus, s’incarne parfaitement dans le visage diaphane de Nicholas Hoult (le bambin d’About a Boy, devenu grand), garçon au physique juvénile, presque inoffensif qui cache habilement ses noirs desseins. La séquence inaugurale, bacchanale de drogues en tout genre censée conduire à l’overdose son collègue et supérieur, expose d’emblée la psychopathie de Steven. Tous les clichés du monde de la musique sont égrenés (sexe, drogues et rock’n roll) sans pour autant transformer le film en farce grotesque, au contraire. En diffusant subtilement des tubes des années 1990 (Prodigy, Radiohead), en leur donnant corps dans le récit (l’entrelacement d’un clip et de la réalité du héros), le réalisateur parvient à rendre crédible et vraisemblable cette course effrénée à la réussite sociale, ce désengagement culturel de la part de ceux chargés de son édification. Bien qu’extrême dans ses manigances, Steven semble le prototype du producteur véreux, dégagé de toutes responsabilités morales, seulement obnubilé par son chiffre d’affaires. Parfois plombé par des rebondissements scénaristiques inutiles ou trop convenus (le rôle du policier), Kill Your Friends parvient tout de même à boucler son programme par l’entremise d’un finale qui ne renonce aucunement au cynisme qu’il a essaimé presque deux heures durant. Rares sont les films qui s’autorisent un happy end amoral, Kill Your Friends en fait partie, laissant au spectateur le soin de juger l’autodestruction annoncée d’une industrie aujourd’hui dépassée.