L’errance d’un père et d’un fils traversant les paysages russes afin de se rendre dans le village de Koktebel, en Crimée. Un récit et une photographie typiques de ce genre de cinéma rendent ce film assez quelconque, malgré une maîtrise indéniable. Mais c’est seulement vers la fin, quand on échappe enfin à ces clichés scénaristiques et formels, que le film semble s’aventurer vers quelque chose de plus excitant.
Les films russes et les films de l’Est, au risque de faire des généralités et de mettre tout le monde dans le même panier, ont pour habitude de nous donner à voir une « belle photographie ». Quelle que soit l’histoire, on a souvent affaire à de la pluie, de l’humidité, du froid, de la buée émanant de visages fortement typés, aux traits durs, à des reniflements et une façon bien caractéristique de s’essuyer le nez grâce à un grand mouvement de bras. Les paysages, la campagne, les forêts, les nuances de couleurs au cœur de l’automne, fournissent souvent aux cinéastes un décor dont l’étrangeté intrinsèque permet à un film réaliste d’ouvrir vers un ailleurs mystique. Mais cette photographie devient récurrente, frôle une certaine forme d’académisme et confirme l’influence et la tutelle écrasante de Tarkovski et Wajda.
Or, on sent bien que ce film a trop voulu se reposer sur sa photographie, sur le paysage, sur un bagage iconographique hélas conventionnel, malgré la beauté de certains plans, en particulier les plans larges. C’est comme si le sujet même avait été imaginé en vue de faire de jolies images typiques, destinées à plaire aux festivals qui ont la fâcheuse habitude de récompenser le dépaysement au détriment du cinéma. Car l’histoire est la suivante : un père et son fils décident de se rendre en Crimée, dans un village nommé Koktebel. Mais n’ayant pas de moyen de transport, ils traversent à pied ou clandestinement dans des wagons de marchandises les paysages et la campagne russe. Il y a donc dans cette errance la volonté de mettre en scène le paysage et de faire de « belles images ». Bien sûr, il n’y a pas que ça ! Mais le reste est de toute façon on ne peut plus conventionnel. Car de quoi est faite une errance sinon de rencontres insolites ? Celles-ci sont si peu pertinentes, si peu creusées, qu’elles ne manqueront pas de reposer presque entièrement sur des petits détails, des tours de passe-passe. À travers un détail, un objet, et même une lumière, on cherche à atteindre le merveilleux grâce à la transfiguration de choses simples. Cette ambition, bien que noble, seuls les grands cinéastes, les grands génies peuvent prétendre la mener à bien. Autre chose : comment imaginer une errance entre père et fils sans aborder le thème de la transmission ? Le fils pose des questions, le père tente de lui répondre, de lui transmettre son savoir, à travers des connaissances non scolaires, appartenant plus au domaine de prétendues cultures ancestrales… Bien sûr, le fils a du caractère, est avide de détails et n’a pas peur de mettre au jour les contradictions et les failles du paternel. Le visage du fils répond d’ailleurs à ces quelques traits psychologiques : des yeux ronds, de bonnes joues, une bonne bouille à même de mettre en avant de la façon la plus claire possible les particularités de caractère qui sont les siennes.
Pourtant, quelque chose se passe à la fin de ce film. Logeant chez une dame avec qui le père a une aventure, celui-ci dit à son fils que leur voyage à Koktebel reprendra au printemps et qu’ils passeront donc l’hiver ici. Mais le fils ne l’entend pas de cette oreille. Koktebel est pour lui une idée fixe, l’endroit où il pourra enfin se poser avec son père, un endroit où il pourra enfin sentir qu’il est chez lui. Alors forcément, les plans foireux du père, ça commence à le gonfler, le fils, avec sa bonne bouille boudeuse. Du coup, il se fait la malle et décide de se rendre tout seul à Koktebel, comme un grand, car c’est quand même là qu’on devait aller au début. Non ? Du coup, on arrive en Crimée et on change de paysage, de lumière. Le fiston se retrouve sans paternel derrière ou devant lui. Le spectateur est alors débarrassé de ces grosses ficelles scénaristiques, de cette thématique de la transmission père-fils dont il n’a pas bien vu la pertinence, ni la poésie, et dont il n’avait franchement rien à foutre. Le jeune acteur change alors de visage lors de quelques scènes étonnantes, semble par instants sortir de son rôle initial et ouvrir des pistes pour le moins drôles et décalées. Se rendant chez sa tante, il apprend qu’elle n’est pas là, mais qu’elle a laissé une enveloppe contenant une certaine somme d’argent. Le jeune garçon, avec cet argent, va manger au restaurant, sur une terrasse ouvrant sur la mer, avec un naturel et une décontraction très étranges et drolatiques. Dans une autre scène, il dort allongé sur une chaise longue à la plage. Ayant froid, il se lève, sort du plan, et revient avec un parasol qui fera office de couverture, le tout avec une logique et un mutisme keatoniens… Bref, un film qui semble trouver sa voie à partir du moment où il n’a pas peur de se perdre.