Petite comédie française avec quelques moments plaisants, L’Air de rien peine à trouver sa voie s’égarant entre le récit d’une amitié naissante, le docu-menteur sur un chanteur populaire – Michel Delpech trente ans après – et le parcours d’un homme qui s’affranchit de la figure paternelle. Un premier film de Grégory Magne et Stéphane Viard qui surfe sur la vague du film « nostalgie » (quelques semaines après Stars 80) : Delpech dans son propre rôle, interprétant ses plus grands tubes et dont la figure est à peine mise à distance.
Fonctionnant sur le principe du duo, le film joue sur deux figures aux antagonismes assez triviaux: le blond / le brun, le bon / le méchant, l’empathique / l’impitoyable, un procédé plutôt conventionnel mais qui sied bien au genre de la comédie. Il s’agit ici de deux huissiers, Grégory et Max, associés malgré eux dans l’étude que Grégory a hérité de son père. Chacun incarne une manière radicalement différente de concevoir le métier : Grégory fait son boulot pratiquement à contre-cœur (on se demande même pourquoi il le fait), compréhensif, il voudrait sauver le monde entier de la faillite. Tandis que Max, sans scrupule, ne tergiverse pas lorsqu’il s’agit de rembourser les créanciers. Mais très vite le personnage de Max s’efface laissant la place à un deuxième duo, celui formé par Michel Delpech himself et Grégory, qui s’embarque dans une opération de sauvetage de la situation financière du chanteur, organisant une tournée de province où Delpech est censé « se refaire ». Touché par le bonhomme qu’est Michel Delpech – dont la première apparition en chemise à carreaux, gilet matelassé et barbe de trois jours, trifouillant le jardin de sa maison de campagne, frise le cliché du patriarche des grandes sagas télévisées estivales –, il n’accepte pas de voir son héros chuter et met littéralement la main à la pâte pour le sortir des dettes quitte à enfreindre la loi et à abuser de sa fonction. Il veut que Delpech reste le héros de son enfance notamment parce qu’il fut l’idole de son père. Le film amenant ainsi la problématique de la figure paternelle à laquelle tout homme doit un jour se confronter, qui ne relève pas, hélas, de la plus grande originalité.
On l’aura compris, le personnage de Grégory est le pivot du film (il est de toutes les scènes), mais cet imprésario du dimanche mû par des motivations plus nobles les unes que les autres, contraste trop violemment avec le personnage de Max. Du coup, l’effet du duo tombe à l’eau en raison des oppositions radicales faisant de ces figures deux blocs monolithiques difficiles à apprécier vraiment. Par là, le film marque sa difficulté à s’inscrire dans un genre n’exploitant ni le filon de la comédie, ni celui du (petit) drame social de l’endettement. Le film n’approfondit pas non plus l’amitié naissante entre le chanteur et le manager. Grégory apprendra quand même quelque chose sur lui-même : il faut s’affranchir à tous prix de la chape de son père et faire son propre chemin. Propos maigre et éculé. Malgré cela, le personnage central revêt un aspect attachant et le talent du comédien n’y est pas étranger (premier rôle principal au cinéma pour Grégory Montel) dans sa propension à douter de tout ce qu’il fait et du bien-fondé de ses actes. Cette inquiétude s’exprime par sa gestuelle, son phrasé, que ce soit au moment de se rendre chez un « client » ou lorsque Delpech monte sur scène. Et grâce à la caméra placée derrière lui, le spectateur appréhende la scène du point de vue de Grégory, ce qui en préserve l’ambiguïté. Ce procédé est particulièrement prégnant lors du premier concert de Delpech dans une boîte de seconde zone où l’on voit le chanteur depuis les coulisses, du point de vue de Grégory, qui s’attend au pire comme au meilleur, anxieux de précipiter son idole dans une situation qui pourrait être des plus humiliantes si le public se met à le huer.
Avec ce type de séquence, difficile de ne pas évoquer l’aspect documentaire de L’Air de rien: Michel Delpech en Michel Delpech, jouant le rôle d’une vielle gloire et interprétant ses propres chansons. Le film calque le personnage de Michel Delpech sur le vrai Michel Delpech: procédé délicat puisque la frontière entre le personnage et la réalité semble assez ténue, sachant que bon nombre de « stars » sont obligées de remonter sur scène pour payer leur factures. Et si ce type d’entreprise n’a rien de honteux, le spectateur se retrouve mal à l’aise face à ce cas de figure ayant un écho dans la réalité. Car bien que tout le discours promotionnel prétend le contraire, expliquant que Michel Delpech n’est lui pas endetté, la ressemblance reste flagrante. Ce dédoublement personne/personnage aurait pu être un atout pour le film, en utilisant les grands mots : produire un vertige. Mais ce serait beaucoup attendre de réalisateurs paresseux qui se placent davantage du côté du reportage télé sur la tournée d’un chanteur que de celui du cinéma. En plus de cette pauvreté, le film comprend quelques autres maladresses comme la représentation de la femme. En effet, les fervents des théories gender sauteront au plafond devant cette galerie peu reluisante: la secrétaire, reine du classement, pas impliquée dans les dossiers ; la compagne d’intérieur de Grégory (jamais trop loin de la cuisine) aimante, compréhensive mais n’interagissant pas avec les plans de son mari ; la jolie groupie dont se moquent ces messieurs après quelques verres ; la femme mûre éprise du chanteur qui, trente ans après, attend encore qu’il la rappelle. Mais, et cela est plus dommageable, la représentation de l’étranger en prend un sacré coup également, parlant un français approximatif voire ridicule, dont la caricature active des clichés peu valorisants, sans compter la main sur l’épaule du bon huissier dans un geste de condescendance ultime. L’Air de rien dont l’intrigue aurait pu déboucher sur une trame et un traitement plus plaisants souffre de la manière dont les réalisateurs se sont engouffrés dans la veine du film qui mise tout sur son casting : un chanteur populaire dans son propre rôle qui reprend ses tubes. Rien de moins, mais surtout rien de plus.