Ce long-métrage venu du Sénégal se propose de mettre en lumière un sport séculaire et traditionnel, la lutte. Pour enrubanner la description de cette coutume nationale, le jeune cinéaste Cheikh A. Ndiaye tisse un nœud narratif des plus décousus, mêlant les pérégrinations de plusieurs personnages archétypaux, censés chacun représenter une vue différente et singulière sur le spectacle des arènes. Ndiaye tente ainsi de projeter un regard panoptique sur un phénomène social et culturel, constitutif de la société sénégalaise. Au bout du compte, il est plus question de saynètes anecdotiques et insignifiantes que de l’analyse d’une société en mutation, partagée entre traditionalisme et modernité à l’occidentale. Cheikh A. Ndiaye signe avec L’Appel des arènes son premier long-métrage, après avoir réalisé quelques documentaires à propos de la culture africaine, riche et passionnante, qu’il tente avec entrain d’exposer et valoriser. Un objectif louable et salutaire dans un climat d’ethnocentrisme occidental, refermé sur lui-même et prompt à rejeter la moindre singularité venant du Sud : pour preuve, l’absence totale de films africains dans toutes les compétitions cannoises cette année.
Le film est ainsi l’émanation directe d’une volonté d’exposer des éléments constitutifs de la société sénégalaise. Ici, le phénomène choisi est la lutte, présenté comme le sport identitaire d’un peuple attaché aussi bien aux rituels chamaniques qu’à l’idée de dépassement de soi par l’effort et la solidarité partagée. Nalla est un jeune homme en quête d’émancipation face à l’éducation sclérosée de ses parents. Par rébellion, il se réfugie instinctivement dans la passion ombrageuse et mystique de la lutte sénégalaise. Il rencontre fortuitement un certain André, qui se révèle être le « préparateur mystique » du grand champion nommé Malaw. André et Nalla vont se lier d’amitié, ce qui permet à Nalla d’entrer dans le monde fermé de ce sport qui agite les émois de tout un peuple. Le récit se propose de suivre le chemin initiatique de cet adolescent, un moyen commode mais un peu artificiel de faire pénétrer la fiction dans le monde de la lutte. S’ensuivent de multiples retournements scénaristiques et situations ubuesques : un joueur de poker violent et épileptique tente de retrouver une vie rangée (mais n’y arrive pas, étrangement), une jolie femme peu soucieuse de sa vertu abandonne son fiancé pour se retrouver au bras d’une star de la lutte, avant de se plaindre du manque de disponibilité de ce dernier (crise de ménage, pleurs et soumission féminine au programme), André sauve héroïquement Nalla d’une horde de petits voyous en gonflant ses muscles bandés et saillants, les parents de Nalla lui interdisent de pratiquer et assister à un sport violent et agressif (crise d’adolescence contre autoritarisme parental), etc. Autant de thèmes brassés et rabâchés qui obstruent de manière dommageable un sujet qui aurait pu être original et pertinent, tant la portée mystérieuse de ce sport, aux confluents du surnaturel mystique et de la performance sportive, charrie son lot de pistes narratives et thématiques à exploiter.
Dans le sillage des grands cinéastes africains, comme Ousmane Sembène, Idrissa Ouedraogo ou Souleymane Cissé, Ndiaye tente de présenter au public européen une vision de son pays, sincèrement empreint d’affection et de tendresse. Mais là où ces illustres aînés s’efforcent de traiter leurs sujets avec acuité et finesse, Ndiaye chausse tous les attributs du mauvais goût, aussi bien scénaristiques que techniques. La fiction documentée dont rêve Ndiaye a l’ambition de conjuguer rigueur documentaire quant au dévoilement des rites et coutumes liés à la pratique de la lutte, et extravagance sautillante du récit fictionnel. Ce mélange des genres, s’il peut être riche et pertinent par ailleurs, est ici l’occasion d’une logorrhée visuelle languissante et rébarbative, tant le récit devient l’otage anémique d’une vaine volonté de décryptage ethnographique. La teneur documentaire du film prend peu à peu le pas sur l’ineptie fictionnelle, tout en ne proposant que brièvement des moments susceptibles d’éveiller une curiosité en berne.
En ne se concentrant que sur l’intérêt, clairsemé mais véritable, de quelques scènes, il est pourtant possible de s’éloigner de la torpeur anesthésiante qui se propage au fur et à mesure du récit. Celles-ci sont pour la plupart des scènes de description de la préparation du combat final, ainsi que des interactions entre lutteurs, préparateurs chamaniques et entraîneurs physiques. Une scène de quelques minutes montre l’entraînement d’une écurie de lutteurs sur la plage. Les corps vibrent au son des ordres du préparateur, au rythme d’une transe communicative. Sans parole et sans construction narrative, ces images expriment sans commune mesure l’effort, le sacrifice mais aussi la joie et l’enthousiasme de quelques hommes qui se donnent et se surpassent pour partager quelques moments de grâce, qui les arrachent momentanément de leur triste et banale existence terrestre. Le montage se fait alerte et rythmique, épousant avec efficacité le message initial du cinéaste, que ce dernier s’évertue vainement de propager par ailleurs. Plus tard, un griot conte au jeune Nalla les rudiments et les valeurs de la lutte. Il est comme transporté par le lyrisme de ces déclamations, le récit ralentit et se laisse dicter son rythme par le frémissement léger de l’eau qui rencontre la petite barque, dans laquelle sont installés les personnages, et qui navigue à vue sur un fleuve éclairé par le soleil couchant. Le griot se lève et entame un chant saccadé et enivrant.
Ce sont dans ces moments où le réalisateur semble perdre le contrôle du récit que celui-ci prend toute son ampleur, en se libérant de tous les carcans imposés par le cinéaste. D’où une inévitable frustration du spectateur qui se demande bien pourquoi Ndiaye a semé tant d’embûches au film, alors que les images auraient très bien pu prendre leur envol toutes seules, lestées des lourdeurs de la narration.
L’Appel des arènes est un film bancal, au potentiel inexploité et dont les maigres soubresauts telluriques le sauvent de l’indigence la plus confondante. Malgré leur intermittence, ceux-ci sont d’une valeur estimable et mériteraient un écrin plus avantageux, plus courageux.