Si L’Auberge rouge de Claude Autant-Lara lorgnait explicitement du côté du fantastique, son remake, sous la conduite attentive du grimaçant Christian Clavier et devant la caméra servile du faiseur Gérard Krawczyk, fait dans la comédie de boulevard. Normal, me direz-vous, lorsque les têtes d’affiches viennent toutes du Splendid. Résultat : une suite ininterrompue de paillardises grimaçantes et fatigantes, mais à qui la popularité de ses acteurs servira de garant du succès.
À l’origine de L’Auberge rouge, on trouve une histoire bien réelle, mais devenue légendaire, d’aubergistes qui ont un jour trouvé qu’on y gagnait plus à trucider ses clients qu’à les servir (il convient d’ailleurs de noter qu’au moins une histoire similaire fait partie de la culture populaire en Chine, sauf que là-bas, non contents de détrousser les malheureux, on les mange. À quand le film ?). Plus d’une fois, déjà, le cinéma s’était intéressé à l’épouvantable fait-divers, mais rarement avait-il été aussi remarquablement illustré que dans le film de Claude Autant-Lara, où Fernandel était à son meilleur. Le trio Balasko-Clavier-Jugnot, survivants de la troupe du Splendid et des Bronzés, choisissent aujourd’hui de transformer la ténébreuse fantaisie d’Autant-Lara en comédie de boulevard, grimaces, hurlements hystériques, paillardises et effets de manche à l’appui.
Résultat : on court beaucoup, on s’y bat, on s’y touche énormément (pour assassiner comme pour voler diverses vertus), on y tombe tout le temps. Mais hélas, on y oublie surtout de se servir du potentiel (comique comme horrifique) de l’auberge, qui est ici ramenée à son rôle de seul décor. La mise en scène, comme on peut s’y attendre de la part du réalisateur des Taxi, se focalise sans la moindre nuance sur le plus vendeur du film : son casting. Christian Clavier, cherchant toujours à remplir le vide laissé par Louis de Funès, tente en vain de donner corps à son personnage en grimaçant et en gesticulant à n’en plus pouvoir. Gérard Jugnot couine comme un goret (qui sont d’ailleurs officiellement la base du régime de l’auberge — et le meilleur moyen de disposer des cadavres), et donne une nouvelle définition au mot « surjouer ». Quant à ce malheureux Jean-Baptiste Maunier, il n’est ici employé que pour son seul joli petit minois, et emprunte de ce fait la redoutable voie de la carrière de benêt chantant que lui présageait son rôle dans Les Choristes − la parenthèse drolatique et décalée de Hellphone semble aujourd’hui oubliée. Le reste du casting, Balasko, Sylvie Joly et Urbain Cancelier en tête, reste dans le ton.
Et si malgré tout cela avait été drôle ! Mais hélas… Entre gags navrants (avec une mention spéciale à l’« entrez » de Sylvie Joly et au destin du malheureux bûcheron, qui prouvent bien qu’il n’y a vraiment que deux comiques, le comique de répétition et le comique de répétition), bons mots poujadistes (avec de juteux clins d’œil à la corporation des restaurateurs et quelques vacheries balancées aux flics et aux notaires, parce que tout ce que veulent ces gens là, c’est notre argent, ma bonne dame), et références malvenues (Jugnot qui lance un « tu vas la fermer, tu chantes mal » à Maunier — dommage que le gag ait été déjà et bien mieux fait, dans Hellphone justement), le film baigne dans une ambiance lourde et téléphonée. Malgré tout le fric englouti (plus de 21 millions d’euros au bas mot), cette nouvelle Auberge rouge n’est surtout qu’une grossière pièce de boulevard, à peine drôle, sclérosée par son incapacité à faire autre chose que ce qui est attendu d’une telle distribution, à la période de Noël. Creux, navrant, nauséabond, et indigne de son modèle avoué.