L’Équilibre de la terreur n’est qu’une œuvre de fiction, peut-on lire à la fin du film. C’est prévenir un peu tard, après le développement d’une thèse alarmiste, non documentée, et rendue « crédible » par une utilisation sensationnaliste de la mise en scène. En lorgnant maladroitement sur l’esthétique du clip, le film embourbe son public dans un thriller politique aux ramifications qui resteront inexplorées. Une sombre et perfide contre-performance.
Comment le pouvoir derrière le trône d’un régime moyen-oriental peut orchestrer sans encombre un attentat nucléaire majeur en Europe occidentale : voilà le point de départ de L’Équilibre de la terreur. Un postulat des plus risqués, qui eût demandé une grande attention apportée au scénario et à la mise en scène. Auteur du scénario, le réalisateur Jean-Martial Lefranc reprend les recettes d’un roman à la Crichton ou John Le Carré. Il s’agit avant tout de perdre son spectateur dans les ramifications inextricables des intrigues de la politique internationale. L’Équilibre de la terreur saute d’un protagoniste à l’autre, à plusieurs échelons d’une conspiration dont la justification n’apparaîtra que fort tard. En attendant, il ne reste au spectateur qu’à tenter d’assembler les pièces d’un puzzle chaotique.
La mise en scène allie lourdement le maniérisme de l’esthétique des clips et une platitude héritée des téléfilms de France 3. C’est une perpétuelle agression qui jaillit de l’écran, au diapason du discours intellectuel du scénario. La juxtaposition de scènes terriblement hétérogènes renforce le vertige ressenti à la découverte d’un scénario où le non-dit règne en maître. Si le but est clairement de renforcer l’aspect réaliste et crédible du propos, c’est avant tout la malhonnêteté du film qui ressort. S’il est riche en coups de théâtre, L’Équilibre de la terreur ne procure jamais les indices permettant de tenter de comprendre son intrigue. En lieu et place d’une structure en spirale, où les différents personnages finiraient par se rejoindre plus ou moins fortuitement, le film suit plusieurs trames linéaires parallèles, qui jamais ne se rejoindront. Entre un scénario volontairement labyrinthique, une mise en scène esthétisante à l’excès (voir les différents points de vue illustrés avant tout par le grain des films) et un montage anarchique, le film agace par son maniérisme où perce les mauvais côtés d’un cinéma amateur qui voit trop grand.
Mais si, formellement, le film est un ratage arrogant, c’est idéologiquement que le bât blesse réellement. Le terroriste, figure centrale du film, est celui qui aura recours à la terreur pour parvenir à ses fins. Le qualificatif s’applique fort bien au réalisateur de L’Équilibre de la terreur. Il pratique en effet l’amalgame avec une roublardise inquiétante : ainsi, tous les moyen-orientaux du film, qu’ils résident en France ou non, sont fanatiques, prompts à la fourberie, au mensonge, à l’attentat, toujours au nom de Dieu. Quant aux occidentaux, ils sont divisés en deux camps : les Français, pacifistes, et posés en victimes de tout le complot, et les Américains, fiers, manipulateurs, et que la seule pensée que Paris puisse être rasée par une explosion atomique remplit d’une joie perverse. « Vous pensiez pouvoir vous en sortir avec vos discours pacifistes ? » lance en substance un ponte des services secrets des États-Unis à un ambassadeur français. Le message est clair : le terrorisme est à nos portes, les positions anti-guerre en Irak de la France sont une faiblesse qui n’apportera rien de bon, la fermeté eût été préférable. Les agents de cette menace sont les Arabes, pour suivre l’amalgame rapidement fait par le film. Ce sont les plus jeunes, évidemment : trois jeunes des cités se gargarisent de brûler des poubelles, et les voilà bientôt à orchestrer la destruction nucléaire de Paris.
Trouver un discours ostensiblement raciste tel que celui-ci, vomitif, peut être affaire de conviction, et la thèse développée par le réalisateur relève avant tout de la liberté d’expression. Mais se gargariser du réalisme d’une œuvre de politique-fiction réclame de celle-ci qu’elle soit d’une objectivité irréprochable. Où est donc l’étude de ce qui va mener les jeunes des cités dans l’engrenage, des raisons des chefs terroristes, de la gestion économiquement intéressée et cynique de la crise par l’Occident ? Nulle part. Finalement, L’Équilibre de la terreur dépeint sa « réalité », mais se refuse à plus de commentaires. Le film ne propose rien, laisse les choses en l’état. J.-M. Lefranc veut, selon ses propres termes, faire prendre conscience au plus grand nombre de la situation où l’a mené la politique de ses élites, en Occident comme au Moyen-Orient. Tel qu’il est, le film est avant tout une œuvre catastrophiste, totalement en phase avec les discours sécuritaires récents.
Modeste, le réalisateur annonce un film à venir sur les possibilités offertes par la science dans un futur proche, qui permettront de vivre éternellement. Ce afin de « poursuivre la lutte », amorcée dans cet Équilibre de la terreur, qui vise entre autres à reléguer « la religion [au rang de] pratique privée et sympathique comme l’astrologie ou l’interprétation des tarots ». En fait de « lutte », ce premier film est avant tout terriblement démagogique, cinématographiquement laid, intellectuellement inutile, et moralement inacceptable.