Les images les plus significatives de l’Afghanistan en guerre (résistance contre l’Armée rouge, puis guerre civile menée par les Taliban), c’était lui. Les portraits du chef de guerre le plus à même, selon lui, de ramener la paix et la sérénité dans le pays, le commandant Massoud, c’était encore lui. Entré clandestinement en Afghanistan en 1981 pour un reportage, Christophe de Ponfilly n’a depuis jamais cessé d’y revenir prendre des images et des mots pour attirer l’attention du monde sur le drame de ce pays qu’il avait fini par aimer, allant jusqu’à se lier d’amitié pour Massoud et épouser sa cause. Abandonnant la sacro-sainte objectivité journalistique qu’il voyait, assez lucidement, comme une hypocrisie, il n’a eu de cesse d’appeler les gouvernements occidentaux à soutenir Massoud, et de dénoncer leur choix d’armer les partis les plus extrémistes du pays contre les Soviétiques (avec pour résultat indirect l’instauration du régime des Taliban). Son reportage le plus réputé, Massoud l’Afghan (1998), un portrait au plus près du chef de guerre, est la somme de cette démarche et de cette cause perdue : Ponfilly y clame sa subjectivité, ses désillusions et sa vision de son métier, tandis qu’il déroule le douloureux récapitulatif de l’apparente impossibilité de la paix en Afghanistan.
À sa manière, L’Étoile du soldat est un autre film-somme de ce travail. À partir de l’annonce des attentats du 11 septembre 2001 dont il assume la connexion avec les événements d’Afghanistan, on remonte le temps pour conter l’aventure — inspirée de faits réels — d’un soldat soviétique fait prisonnier par les Afghans et qui finit par sympathiser avec eux et s’imprégner de leur culture. Ponfilly tente l’exercice de la mise en scène d’une fiction basée sur le réel, entre reconstitution et création pure, avec une distribution mêlant acteurs professionnels, villageois et anciens moudjahidin. Il ne coupe pas pour autant les liens avec son travail journalistique, comme en témoignent quelques éléments visuels et sonores renvoyant à ses reportages. Tels les panoramas des vallées afghanes — qui ont évidemment toute leur place au cinéma — ou la narration en voix off dont le ton et le contenu parfois critique rappellent les commentaires du journaliste Ponfilly, mais qui, sans la subjectivité de celui-ci et dits par l’acteur Philippe Caubère, perd un peu de sa force.
« Manque d’expérience »
On peut ajouter au crédit du journaliste Ponfilly le souci de mettre en images un Afghanistan authentique, éloigné de toute représentation spectaculaire qu’on a pu en faire au cinéma ou même dans les médias : tournage sur place et en décors naturels, Afghans incarnés par des acteurs non-professionnels dont d’anciens compagnons de Massoud. Cependant son manque d’expérience du cinéma de fiction le dessert dans son travail de metteur en scène, dès lors qu’il s’agit de créer à partir d’éléments réels et fabriqués, et surtout de son propre ressenti. Le récit, déjà édifiant à la base et reposant sur un schéma sans grandes surprises, n’est pas vraiment relevé par le simplisme de certains personnages, à commencer par le protagoniste incarné par Sacha Bourdo, répondant prosaïquement au stéréotype du gentil artiste paumé dans une guerre dont il ignore tout. Le film n’échappe pas non plus à l’opposition manichéenne entre le mode de vie et de pensée des autochtones et la brutalité des envahisseurs. C’était attendu, connaissant le parti pris de l’auteur et son regard un rien idéalisé sur les Afghans ; mais celui-ci manque ici d’un peu de la nuance dont il a fait preuve par ailleurs. Ponfilly se met également en scène, lui et ses convictions, d’une part par le truchement de la narration off, d’autre part à travers un alter ego, un personnage de journaliste français engagé. Si le double emploi de ces procédés de projection dans son propre film en témoin interpellant l’inertie internationale est assez maladroit, cette intention plutôt louable de se placer en conscience du monde souffre surtout du schématisme de l’ensemble qui la rend pesante.
En vérité, pris isolément, L’Étoile du soldat n’apporte pas grand-chose au travail de Ponfilly. Il a tenté d’utiliser le cinéma pour redire avec une force nouvelle ce que, d’une certaine façon, il avait déjà développé dans ses reportages. Or ce premier essai est un balbutiement qui, si sincère qu’il soit, fait l’effet d’un ressassement laborieux et un rien simpliste, pas vraiment nécessaire. Mais L’Étoile du soldat souffre surtout d’être un premier film sans successeur. On ne peut que spéculer sur ce qu’aurait pu être le futur travail cinématographique du réalisateur, l’évolution de son appropriation du septième art, sa façon de transcrire son engagement sur grand écran. Le 16 mai 2006, Christophe de Ponfilly a mis fin à ses jours, coupant court à ces hypothèses — et à son combat désespéré.