Après Ong-Bak, Tony Jaa est de retour dans un film qui réunit la même équipe, fermement décidé à aller plus loin dans l’action. Ici, il part à la recherche de ses deux éléphants, enlevés par une triade chinoise et rapatriés en Australie. Construit comme un jeu vidéo sur mesure pour les performances de sa star, L’Honneur du dragon (Tom Yum Goong) impressionne par ses prouesses mais n’arrive jamais à s’élever au niveau des films d’arts martiaux hongkongais, faute d’un réel investissement esthétique.
Dans L’Honneur du dragon, il y a une brève scène dans un aéroport où Tony Jaa, le nouveau corps du cinéma d’arts martiaux thaïlandais, bouscule par inadvertance un passant qui s’avère être Jackie Chan. Cette filiation affichée entre nouvelle et ancienne génération s’opère de façon curieuse. Les deux hommes se percutent, se retournent et se scrutent, puis décident de ne pas engager d’affrontement. Cet hommage, sous forme de gag, témoigne de l’envie de se mesurer au cinéma d’arts martiaux hongkongais, sans pour autant lutter de front. Ong-Bak et maintenant L’Honneur du dragon de Prachya Pinkaew veulent se démarquer de leur illustre modèle en jouant néanmoins sur un registre différent. Ils se concentrent exclusivement sur l’exploit corporel en augmentant les risques d’incidents et en n’ayant que très peu recours aux trucages. Ils misent tout sur la performance.
Leur grand atout, l’athlétique Tony Jaa, à la fois vif, nerveux et masochiste, se définit comme un condensé des précédents artistes martiaux qui ont marqué le septième art : Bruce Lee, Jackie Chan et Jet Li. Jaa est un comédien de synthèse en somme, incapable d’exister à l’écran autrement qu’en exécutant ses inévitables acrobaties. D’une énergie inépuisable, son corps et sa technique martiale (le muay thai) lui permettent d’affronter plus d’une cinquantaine d’adversaires à la fois, leur cassant le bras ou leur démettant l’épaule avec une rapidité foudroyante. La mise en scène tente désespérément de se donner un semblant de consistance à l’aide de procédés voyants assez courants à Hong-Kong (maniérisme, montage hystérique, effets artificiels, filtres grossiers) qu’elle utilise ici comme un palliatif visuel plutôt que pour une construction narrative ou esthétique. Elle devient cependant étonnamment sobre lors des scènes de combat et restitue le moindre des mouvements des acteurs. Il y a une séquence symptomatique de ce désir de ne pas interrompre le corps dans son élan. Jaa monte tous les étages d’un hôtel à pied, envoyant valdinguer une trentaine d’hommes de main qui s’interposent sur son passage et démolissant le décor dans ses moindres recoins. Tout est filmé en plan-séquence à la steadicam, ce qui rend l’action d’autant plus réaliste qu’elle est retranscrite dans son intégralité. Le spectateur est alors pris dans la temporalité du plan qui crée un parallélisme entre la performance physique de Jaa et la performance technique du filmage.
Mais là où les films hongkongais trouvaient une vraie profondeur en essayant d’élaborer une esthétique du combat, le film de Pinkaew recherche une efficacité plus immédiate mais aussi plus réduite : l’enjeu se situe dans l’action en soi et non dans son mode de représentation. Il rapproche un peu plus le cinéma d’action du jeu vidéo. Les affrontements s’enchaînent les uns après les autres, sans grande cohérence scénaristique, comme autant d’épreuves à la difficulté graduelle que doit surmonter le héros. L’identification avec des jeux comme Tekken est d’autant plus flagrante que L’Honneur du dragon reprend le mode iconique qui les caractérise, résumant les personnages à leur plus simple expression : le champion de capoeira, les loubards en rollers, la montagne de muscles, la femme au fouet, etc. Le corps devient la matière première, exposant ses capacités les plus extrêmes, dans une explosion de rage et de violence physique tout à fait saisissante. Bien qu’indéniablement spectaculaire, cette nouvelle orientation du cinéma d’action vers une jouissance brute et instantanée, occulte toute la spiritualité sur laquelle reposaient les films hongkongais. En ne fonctionnant que sur son exhibitionnisme total, elle dessine ses propres limites en enfermant tout son contenu dans l’image qui devient alors auto-suffisante, n’appelant aucun complément extérieur, aucun hors-champ, aucun questionnement, repliée sur elle-même dans une posture masturbatoire.