Réalisé seulement cinq ans après la publication du plus célèbre roman de Milan Kundera, L’Insoutenable légèreté de l’être aurait pu être de ces brillantes adaptations si le projet n’avait pas été supervisé par Philip Kaufman, réalisateur honnête mais sans aucun génie.
Des quelques romans écrits par le célèbre écrivain tchèque naturalisé français, parmi lesquels le magnifique La vie est ailleurs, seul le plus célèbre d’entre eux, L’Insoutenable Légèreté de l’être (publié en 1984) aura fait l’objet d’une adaptation cinématographique. Compte tenu du style très personnel de Kundera, où les multiples ellipses et ruptures dans le récit ont pour seul objectif l’atteinte d’une sorte de sublimation, il y avait de quoi espérer un film à la mise en scène et au montage inventifs où se mêleraient romantisme et abstraction de l’être, projections et immatérialité du désir. Mais plutôt que de se nourrir de ce qui fait l’essence même du style de Kundera, Philip Kaufman, honnête réalisateur dépourvu du moindre génie, ne sort jamais d’un cahier des charges édicté par un scénario habilement écrit par Jean-Claude Carrière. Plutôt que de plonger dans les tréfonds tortueux de l’âme de Tomas, chirurgien séducteur, l’adaptation va plutôt chercher le juste équilibre entre l’histoire d’amour chaloupée entre deux des personnages principaux et une reconstitution historique (nous sommes à Prague pendant les événements de 1968).
Plongés au cœur des tourments de l’histoire, ce qui nous vaudra quelques scènes d’anthologie de reconstitution de la révolte populaire face aux chars soviétiques, les personnages ne sortent jamais véritablement de la pose à laquelle on les condamne : l’amante sulfureuse, l’épouse révoltée qui se lève dignement contre la censure, l’homme hédoniste rattrapé par son insouciance, etc. C’est avec l’application scolaire d’un metteur en scène faussement concerné par l’incandescence de son sujet que Philip Kaufman tente de saisir les tourments de ses personnages. Mais malheureusement, en prodiguant un système voué à la pure représentation, le réalisateur ne prend jamais le risque que quelque chose lui échappe ou se dérobe, quitte à flirter avec le cliché et une esthétique un brin tape-à-l’œil qui fait du charme slave un piège à touristes.
Servie par une photographie un peu nébuleuse (peut-être qu’un jour on redécouvrira sous un nouvel angle le travail de nombreux chefs opérateurs des années 1980 ?), la mise en scène oscille entre image d’Épinal d’un Prague fantasmé (à l’époque de la réalisation du film, le bloc communiste n’était pas encore tombé) et drame intimiste où les enjeux sentimentaux se rejouent sur l’oreiller jusqu’à épuisement des corps. Mais même l’érotisme des certaines scènes fait chic et toc, comme si le réalisateur était trop conscient du potentiel sulfureux de son film pour l’assumer jusqu’au bout. Cela donne un résultat vaguement pudibond quand le livre pose la question de l’affranchissement de la morale, ce qui ne fait jamais oublier qu’en dépit du roman de Kundera, du scénariste français et des acteurs européens, le projet porte en lui certains travers du puritanisme du pays qui l’a produit : les États-Unis. Daniel Day-Lewis et Juliette Binoche (qu’on fait parler anglais avec un accent à couper au couteau) font ce qu’ils peuvent pour donner à leurs aventures ce souffle épique attendu. Mais malheureusement rien n’y fait. Si le film n’est jamais vraiment honteux, le résultat fait constamment regretter ce que cette adaptation aurait pu donner entre les mains d’un réalisateur plus téméraire.