La Couleur des mots est l’histoire de Marie, qui se débat dans son propre langage et pour s’affirmer dans la vie avec son handicap. Sans vouloir faire une œuvre documentaire, Philippe Blasband entend néanmoins sensibiliser le public à une maladie particulière, la dysphasie, plus qu’à ses personnages. Si certains aspects du film sont réussis, il nous touche davantage par l’histoire personnelle du réalisateur que par ses seules qualités cinématographiques.
Marie est dysphasique. Sous ce nom barbare se cache une douloureuse maladie, le trouble neurologique de l’acquisition et de l’organisation du langage. La personne qui en souffre est comme étrangère à sa propre langue. À la différence de l’autiste, un dysphasique cherche le contact avec son entourage, montre un désir de comprendre mais ne comprend pas ses interlocuteurs. En plus de cette souffrance, Marie cumule d’autres difficultés : on la coupe de son enfant, elle est séparée du père de ce dernier, elle est confrontée au chômage et à l’alcoolisme. La Couleur des mots raconte vingt-quatre heures de la vie de cette jeune femme, une journée d’une femme hors norme à la recherche de sa propre normalité.
Philippe Blasband est un vrai conteur : il a écrit et mis en scène de nombreuses pièces de théâtre, des romans et des nouvelles. Il est scénariste de Frédéric Fonteyne (La Femme de Gilles, 2004, Une liaison pornographique, 1999), d’Anne Fontaine (Nathalie…, 2004), de Sam Garbarski (Le Tango des Rashevski, 2003, La Dinde, 1997), de Pierre-Paul Renders (Thomas est amoureux, 2000). Comme il le confie, lui et sa femme (Aylin Yay, qui joue Marie dans le film) parlent huit langues à eux deux. Elle est comédienne, il est écrivain. Les mots sont leurs outils de travail, leur univers. Théo, leur fils aîné, ne connaîtra jamais ce plaisir des mots, puisqu’il est dysphasique. Avec La Couleur des mots, Philippe Blasband tente de regarder le phénomène de l’intérieur, en confiant à sa propre femme la charge d’endosser le quotidien de leur enfant. Certes, c’est un film de fiction, le personnage principal est adulte, le réalisateur lui prête des caractéristiques qu’aucun médecin n’a jamais observée chez un dysphasique (l’alcoolisme), et l’intention de l’histoire qui y est racontée n’est pas d’être didactique. Mais son réalisateur le dit clairement : La Couleur des mots est né du désir de réaliser « un film de fiction issu d’un besoin de regarder la dysphasie de l’intérieur, et d’exorciser nos peurs de parents ». C’est sans doute pour cela qu’on ne réussit pas totalement à être pris par l’histoire, qui reste celle d’un tourment autobiographique avant d’être un récit véritablement cinématographique. Le film repose quasi exclusivement sur la prestation d’Aylin Yay (au demeurant excellente), quand la plupart des autres personnages qui gravitent autour de Marie sonnent souvent faux. Vers la fin, La Couleur des mots emprunte un chemin presque trop démonstratif, quand un jeune homme que vient de rencontrer Marie l’emmène à une réunion des Alcooliques Anonymes, où l’héroïne est confrontée à ceux qui lui sont proches par leur propre mal-être.
Malgré tout, Philippe Blasband réussit à tirer partie du manque de moyens patent dont souffre parfois son film : la caméra DV donne à son film des couleurs souvent saturées, cramées à blanc, les visages donnent parfois dans le violacé, ce qui insuffle au film une étrangeté qui colle bien au thème traité ; ces couleurs, à l’opposé du naturel, mettent en lumière la différence de Marie. Le travail sur le son est aussi à saluer, qui, en jouant sur les silences et les distorsions place le spectateur pour un temps dans la perception de Marie. Sur la dysphasie, Philippe Blasband prépare actuellement un film pour les professionnels de la santé et les enseignants, un documentaire destiné au grand public, et un livre sur le parcours de son fils Théo. Comme il le dit lui-même, « j’en aurai terminé avec la dysphasie le jour de ma mort – et encore… »