Pour son premier long-métrage, La Fièvre (présenté au festival de Locarno), la cinéaste brésilienne Maya Da-Rin entreprend de raconter le retour aux sources d’un homme grâce à un grand travail d’atmosphère, tout en nuances, envoûtant à bien des égards, mais qui peine toutefois à donner du relief au récit. Dans la ville portuaire de Manaus, à la confluence du Rio Negro et de l’Amazone, enfouie dans la jungle amazonienne, vit Justino, Amérindien du peuple Desana. Il travaille au port industriel, où il surveille, immobile, les allées et venues de conteneurs jusque tard dans la soirée. Une fois dévêtu de son uniforme, il rentre dans sa modeste maison à la lisière de la jungle. Le film travaille ainsi un contraste entre le milieu industriel et métallique du port et les bordures de la ville, humides et irriguées par les lumières vertes et les échos de la jungle. Au fil de nombreuses scènes nocturnes, Maya Da-Rin met en scène un personnage le plus souvent en transit entre son travail et l’intérieur de sa maison, qui vacille le soir sous les vents tropicaux. Les éléments naturels jouent d’ailleurs un rôle fondamental dans l’évolution de l’intrigue : pluies et vents accompagnent l’arrivée d’un changement majeur dans la vie de Justino, à savoir l’apparition d’une étrange fièvre qui s’empare de lui.
Dès le premier plan du film, Justino nous est présenté de manière très frontale, amorphe et habité par une sidération, peut-être celle de se regarder dépossédé de son identité, dans un environnement étonnamment plus hostile que celui qu’il connaît. Cette fièvre venue contaminer le corps de Justino semble être le symbole d’un mal très concret : Justino habite désormais un monde matériel, dominé par l’économie et ne fait plus que longer la jungle dont il se sent pourtant bien plus proche. La cinéaste suit les lignes des allées du port, des routes qui mènent à la maison, et longe la frontière qui rend palpable la peur de s’enfouir de nouveau dans un certain mysticisme. Justino va, sans âme, de son travail à sa cabane, récoltant de l’argent pour permettre à sa fille, représentante de la génération suivante (et à ce titre d’autant plus éloignée des traditions amérindiennes), de partir mener ses études de médecine – occidentale, bien sûr, loin des fièvres protectrices et transcendantales, qui exercent sur l’homme une influence profonde, l’amenant, par l’onirisme ou l’hypnose, à trouver la force pour regagner le chemin de chez soi. Car la fièvre de Justino le protège d’un autre mal, cette fois-ci politique. Le racisme et les discriminations à l’encontre des Amérindiens sévissent partout au Brésil. Banalisé, il s’incarne par des petits riens : un nouveau collègue aux phrases et intentions déplacées qui glissent rapidement vers un racisme ordinaire ; un médecin qui se permet des questions intimes insultantes ; une supérieure malveillante rongée par l’argent et la délation. Par petites touches, la cinéaste dépeint une société malade et agressive envers la culture indigène, déclassée et privée de ses libertés.
Mais cet entremêlement entraîne La Fièvre vers un ensemble de sujets attendus qu’il ne traite qu’à moitié : des questions identitaires, le rapport au travail, l’écologie, le racisme. Il tente de manière nuancée de laisser gronder une colère restée tapie sous la surface d’un mystère trop léché. La construction de l’atmosphère, par la maîtrise des silences et de la lumière, permet au film de déployer une mise en scène de l’attente, mais la fièvre peine à s’installer et la nature sauvage reste quelque peu enfermée dans des cadres souvent trop rigides. Sans être convenu, le choix de la retenue empêche quelque part le film de rugir.