Sous la forme du film de maison hantée, La Llorona, réalisé par Jayro Bustamante, s’empare de l’actualité politique guatémaltèque pour réparer une tragédie historique. En 2013, l’ancien dictateur putschiste Efraín Ríos Montt a été jugé coupable de la mort de 1771 indigènes mayas. Le film remanie légèrement cet épisode : le dictateur (appelé Monteverde), ici acquitté, retourne dans sa maison aux côtés de sa femme, de sa fille et de sa petite fille, tandis que la foule réclame justice devant sa demeure. Dans ce climat de tension, le vieil homme est réveillé en pleine nuit par le fantôme d’une jeune femme habillée en robe blanche, soit « la llonora », la pleureuse qui, d’après une légende maya, hante les coupables.
Le film est porteur d’un discours anticolonial qui vise à rendre justice aux opprimés de la société guatémaltèque, à savoir les femmes mayas disparues sous le régime d’Efraín Ríos Montt. Jayro Bustamante qualifie la forme de son film de « réalisme magique », qui remanie l’histoire récente pour lui faire tenir une morale à même de corriger les torts causés au peuple maya. Ce « réalisme magique », qui irrigue les moments fantastiques du long-métrage où l’on aperçoit le fantôme, ouvre pourtant sur des gimmicks récurrents dans la plupart des films d’horreur. La grande faiblesse de La Llonora tient à ce que la plupart des éléments horrifiques constituant l’intrigue appartiennent au champ du cinéma d’horreur occidental. Le film montre ainsi en creux l’influence d’un imaginaire états-unien sur un pays qui n’a pas d’histoire du cinéma. Dans cette perspective, tout l’imaginaire déployé par le film s’avère banal : cette lumière sombre qui rend les peaux extrêmement livides, les regards-caméra volontairement insistants des fantômes, et ces figures symboliques déjà vues comme la jeune femme en robe de soie blanche, les grenouilles de l’apocalypse ou les enfants blafards qui fixent les bourreaux. La culture maya n’apparaît plus que comme un folklore horrifique et ne reste de cette tradition que des plans sur de vieilles dames endeuillées, dont les visages sont recouverts de voiles bleues. La poésie de ces plans s’exprime d’elle-même parce qu’elle renferme un trait culturel que l’on a pas l’habitude de voir au cinéma. Le reste du film contient hélas bien peu de détails de ce type.
Devant cette mise en scène, on assiste à une sorte de « colonisation de l’imaginaire » guatémaltèque par un autre, issu du cinéma occidental. La singularité du film réside dans le pont qu’il dresse avec l’actualité directe du Guatemala pour la pervertir en film de fantômes. Reste que ces apparitions demeurent cantonnées à la marge, gravitant autour du propriétaire de la maison sans jamais troubler l’académisme du film.