Troisième et dernier film de Richard Dembo avant sa disparition (après La Diagonale du fou en 1984 et L’Instinct de l’ange en 1993), La Maison de Nina présente des vies qui tentent de se reconstruire après avoir vécu la souffrance et l’horreur de la guerre et des camps de concentration. Comme tant d’autres « maisons de l’espoir » ouvertes durant ou au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’établissement accueille dans un premier temps des enfants juifs français, qui y sont cachés pour être sauvés de la déportation, puis un groupe de jeunes juifs revenus de Buchenwald. Et c’est de cette cohabitation, erronée d’un point de vue historique puisque de tels groupes n’ont jamais été accueillis dans une même maison, que naît toute la force du film en s’interrogeant sur l’identité juive et sur les multiples façons de vivre l’après…
Pendant les premières scènes du film, on ne peut s’empêcher de soupirer en présageant encore un film sur la Seconde Guerre Mondiale et en craignant de ne voir qu’un discours rebattu et un brin passéiste sur les vertus de la vie rurale et communautaire comme remède face aux horreurs d’une guerre qui se termine. La figure autoritaire et généreuse de Nina (Agnès Jaoui), directrice de la maison éponyme, ne s’embarrasse pas de nuances, puisqu’elle est dépeinte comme un personnage sans aucune faille et vénéré de tous.
Mais, le point de vue adopté, celui des enfants, apporte immédiatement une certaine originalité, puisqu’on assiste à leurs déchirures, qui semblent n’en plus finir. Cachés dans des familles pendant la guerre pour ne pas être déportés comme leurs parents dont ils n’ont plus de nouvelles, les voilà forcés de quitter ces mêmes familles adoptives pour vivre dans une maison de l’espoir qui va vite se transformer en orphelinat, au fur et à mesure que les annonces funestes venues des camps leur parviennent. À cet égard, la scène durant laquelle Nina apprend l’existence des camps est particulièrement bien réalisée : on ne voit pas les images qui défilent devant le personnage, dont seule l’expression du visage suffit à nous renseigner sur l’innommable.
Toutefois, le véritable intérêt du film prend forme avec l’arrivée du groupe d’enfants et d’adolescents juifs rescapés du camp de Buchenwald. En effet, ces derniers sont redevenus des animaux : ils se jettent sur la nourriture, font preuve d’une violence sauvage et imprévisible envers autrui, ne respectent plus rien et finissent par se battre avec les autres enfants de la maison. L’entrée en matière fait donc l’effet d’un électrochoc. Êtres dé-socialisés par les épreuves et la lutte pour la survie qu’ils ont eues à mener, le groupe de déportés va progressivement réapprendre à vivre ensemble malgré les traumatismes visibles qu’ils portent, à l’image de ce jeune devenu autiste, que l’on voit déambuler en permanence, silhouette solitaire et fantomatique. Le contraste et les difficultés de communication entre les deux groupes d’enfants juifs, réunis dans le milieu clos de la maison de Nina, recréent ainsi un microcosme caractéristique de la diversité de la communauté juive. Se pose alors la question : qu’est-ce qu’être juif ? Comment refonder un certain lien culturel et identitaire quand on a été privé de toutes racines familiales aussi brutalement ?
L’une des réponses apportées par le film à ce besoin de reconstruction semble bien être celle de la religion. Les jeunes juifs déportés sont en effet très orthodoxes contrairement à la laïcité affichée des éducateurs et des enfants juifs français recueillis dans la maison de Nina. Cette dernière ménage le consensus au sein de son établissement en adoptant elle aussi les rites traditionnels du culte juif, tels ceux du shabbat par exemple. Cette optique peut paraître contestable mais elle témoigne en réalité d’une ouverture aux Juifs déportés, que l’ensemble du groupe tente d’accompagner dans leur quête de repères. D’une manière encore différente, le personnage de Jean illustre quant à lui avec la musique une autre façon de vivre l’après. Autant de manières d’exprimer son appartenance à une communauté, autant de manières de se reconstruire…
Si le réalisateur fait fi de l’exactitude historique, en décrivant une improbable coexistence entre enfants juifs français et jeunes déportés revenus des camps, il n’en délivre pas moins une fiction historique forte et pertinente. On peut regretter que la forme du film ne soit pas plus soignée et que l’esthétique des images s’en ressente. Toutefois, La Maison de Nina parvient à éclairer une période peu traitée au cinéma, celle des lendemains de la Seconde Guerre mondiale, et à questionner le long cheminement personnel mais aussi communautaire qui jalonne la reprise d’une vie qui ne peut plus être « normale » après avoir traversé la négation même de toute existence. Car, comme le disent les survivants de la Shoah bien des années après : « Nous avons traversé la vie comme des funambules en équilibre sur les fils barbelés qui emplissaient notre tête. »