Une silhouette marche, le pas lourd, sur une terre brune et désolée. Devant lui un enfant, au loin une dune et un ciel poussiéreux. En voix off l’homme nous confie sa peine au creux de l’oreille : « Chaque fois que je songe, mes passions me submergent. Je fuis avec mes rimes pour panser mes blessures d’hier. » Dès l’ouverture de son film, David Yon entraîne le spectateur sur le chemin du conte et de la poésie. L’obscurité, le paysage désertique, tout nous invite à perdre nos repères, à nous laisser guider dans une rêverie inquiète. Lamine et le jeune Aness traversent ensemble une nuit qui n’en finit jamais, fuyant une menace imprécise. Ils errent dans une zone inconnue, sans cesse redessinée par de faibles lueurs – étoiles, lune, feux ou éclairs faisant naître à l’écran des visions fantastiques. Bientôt nous comprenons que le soleil a disparu, qu’il ne se lèvera plus ici, abandonnant chacun à ses propres ténèbres. La fable se charge d’une lecture politique : Lamine explique que la région a été vidée de ses habitants par les terroristes, plongeant le pays dans la peur. Et depuis cette « décennie noire » les fantômes du passé semblent partout omniprésents.
Avec son titre à résonance mythologique, La Nuit et l’enfant brouille les frontières entre réalité et imaginaire. Issu d’un long processus d’écriture, le film a été tourné en Algérie dans les environs de Djelfa, une contrée particulièrement frappée par la violence de la guerre civile dans les années 90. Venant régulièrement sur place depuis son premier moyen-métrage (Les Oiseaux d’Arabie), David Yon s’est lié avec un groupe de jeunes gens et a souhaité mettre en scène avec eux un film prenant appui sur leurs expériences personnelles. De ce travail collectif naît une forme libre, où l’inspiration documentaire glisse vers la fiction. Si les personnages gardent le prénom de leurs interprètes, s’imprègnent de leur magnétisme et de leur vécu, ils renvoient également à des figures universelles – l’adulte et l’enfant formant au cinéma un couple toujours fécond. Leur relation évolue sans arrêt, à tel point qu’il devient malaisé de savoir qui veille sur l’autre : Aness rassure son aîné qui ne reconnaît plus la route, Lamine porte dans ses bras le petit lorsqu’il tombe de fatigue. Tous deux incarnent un rapport différent à l’Histoire, et si Lamine ne peut se libérer du poids des souvenirs, au moins peut-il transmettre une mémoire à la génération suivante – belle séquence autour d’un brasier où il montre au garçon des photos de sa jeunesse, avant que la paix ne s’éclipse et que la nuit tombe sur le monde.
Dans sa première moitié, La Nuit et l’enfant fascine par son atmosphère, son travail sur les couleurs et les ombres, créant un univers à la frontière du visible. Dans une nature majestueuse se débat une humanité fragile, et l’infiniment grand (la steppe, l’orage) côtoie l’infiniment petit (une abeille qui meurt, une bougie qui tremble). Mais David Yon ne se limite pas à cette veine contemplative, et le film bifurque ensuite vers des rivages plus surprenants, jouant de mises en abyme, flirtant avec le fantastique, s’ouvrant à d’autres voix. D’une courte durée (une heure), La Nuit et l’enfant révèle ainsi par touches son projet ambitieux : permettre à ses acteurs de se réapproprier un territoire blessé, avec l’espoir de le voir un jour refleurir.