Michael Youn à l’affiche d’un thriller psychologique ? Voilà qui ne laisse pas d’étonner. Ajoutez derrière la caméra le réalisateur Jérôme Cornuau, à qui l’on doit l’ambitieux mais inégal Les Brigades du Tigre – décidément, nous sommes devant une rencontre cinématographique inattendue. Mais, comme il sied à un film où rien n’est vraiment ce qu’il paraît, les apparences sont trompeuses, et La Traversée se révèle pétri d’idées formelles aux volontés louables, tandis que Michael Youn fait montre d’une réelle sensibilité d’acteur.
C’était il y a deux ans exactement. En vacances avec sa mère sur une île d’Écosse, Lola disparaît sans laisser la moindre trace. Le couple n’a pas résisté, et son père Martin Arendt (Michael Youn), autrefois brillant avocat, a sombré dans l’alcool. Mais, aujourd’hui, précisément deux ans plus tard, Lola reparaît, sans avoir subi de sévices, ni sans que l’on sache ce qui lui est arrivé. La petite fille a été retrouvée muette. Alors qu’il se précipite pour retrouver sa fille, Martin va voir son périple compliqué de façon inattendue et inquiétante…
Voilà pour le pitch : nous sommes loin de l’univers potache traditionnel de Michael Youn. Selon le réalisateur Jérôme Cornuau, lui et l’acteur-trublion se sont retrouvés autour de leur vision du script de La Traversée : soit. Laissons donc le bénéfice du doute à l’entreprise, d’autant que le choix de Michael Youn dans le rôle du père éploré et surprotecteur se révèle être une bonne idée. Peu à l’aise dans les scènes les plus pathétiques du début du film, l’acteur va, en revanche, être beaucoup plus convaincant dans le traitement ultérieur du personnage : fragile et pataud, il compose un personnage étonnant. Là où les codes du genre réclamaient un héros masculin fort, inébranlable, Michael Youn compose un père fissuré, désarmé devant l’inconcevable retour de son enfant – et tout aussi désemparé devant les nouvelles menaces qu’il voit surgir.
Jérôme Cornuau semble, en revanche, très sûr de sa façon de filmer Martin Arendt : fortement présent à l’écran dès le début du film, Youn ne va être pris de face qu’à partir de la dixième minute, comme si le réalisateur voulait laisser au personnage, de dos et à contre-jour, le temps d’éclore. Car Jérôme Cornuau est là pour composer une galerie d’images symboliques, stylisées : il se sert abondamment de la brume, des décors naturels de son île, ralentit ou accélère ses images, compose des contrastes entre ombre et lumière éloignés de toute volonté de peindre le réel. La Traversée baigne dans un onirisme très appliqué, avec une bonne volonté évidente, sans pour autant qu’une patte stylistique réelle ne se dégage de ces images.
La faute, sans doute, à un script à la fois trop compliqué et trop prévisible. Ces compositions rêveuses, à l’ambiance voulue lynchienne, sont les pièces d’un puzzle volontairement compliqué par le montage, mais trahi par des indices narratifs, disséminés au long du récit mais qui en révèlent la clé trop tôt. Peut-être est-ce une volonté consciente – il s’agirait moins de surprendre son auditoire que de lui donner la solution afin de se concentrer sur ce qui semble importer : les rapports entre un père, sa fille, et une jeune femme singulière qui semble étrangement liée à eux (Fanny Valette, pas très à l’aise avec l’ambiguïté de son rôle…). Et, au fil de ce récit, l’occasion pour Jérôme Cornuau de composer des scènes parfois réellement troublantes (on retiendra ainsi la scène de la véranda).
Dans ces moments remarquablement construits, La Traversée touche à l’essence de sa vision onirique. Celle-ci, hélas, n’est pas étanche : Jérôme Cornuau ne parvient pas toujours à maintenir son intégrité – pour autant, ces moments restent des réussites précieuses, d’autant plus qu’elles sont inattendues.