La petite entreprise est devenue grande : Pierre Jolivet revient après le discret Je crois que je l’aime avec une affaire qui roule, La Très Très Grande Entreprise et son casting de choc, Roschdy Zem, Marie Gillain et Jean-Paul Rouve. Le film, à la fois populaire (pour plaire), impertinent (par moments), et marrant (souvent), pétrit les divers scandales écologiques du 21ème siècle pour façonner une comédie dans l’air du temps, du pain pour le peuple.
L’histoire de La Très Très Grande Entreprise est une mission impossible. Celle de Français provinciaux qui deviennent des héros à force de persévérance, d’endurance et d’intégrité en infiltrant le siège d’une multinationale d’agrochimie (Natérris) hors-la-loi à Paris. Pas justiciers pour la beauté de la cause, ils servent au départ leurs intérêts personnels pour trouver peu à peu dans la démarche collective le moteur qui manquait à leur vie : la solidarité.
Jolivet l’entrepreneur à, selon la définition, anticipé le besoin suivant : la nécessité dans l’industrie du cinéma français contemporain d’allier sujet de société et divertissement du spectateur. Pour ce faire il s’est employé à composer une équipe efficace et échauffée : à la production le diligent Charles Gassot, à l’interprétation, le savoir-faire de Marie Gillain, les subtilités de Jean-Paul Rouve, le charisme de Roschdy Zem et la primeur d’Adrien Jolivet. Une « team » dirigée par un scénario bien ficelé (de la plume de Jolivet et de Simon Michaël), qui use des ressorts dramatiques du film à suspense et qui n’a pas peur de l’artifice (arrêts sur image et descriptif identitaire des directeurs de Natérris façon Edvige), par ailleurs tempéré par le jeu naturel des comédiens. Roschdy Zem bénéficie ici d’un rôle sur mesure, taillé par Jolivet, réalisateur à qui il reste fidèle (quatre films ensemble) depuis ses débuts avec Fred au côté d’un autre acteur fétiche, Vincent Lindon.
Depuis, Ma petite entreprise a bedonné, chargée de ses superlatifs elle a changé d’acabit et elle n’est plus complice mais adversaire. Ce combat, Jolivet sait le mettre en scène avec une réalisation dynamique qui montre l’inégalité, dans laquelle les héros semblent écrasés (plongée) par les insolentes dimensions des tours de la Défense (contre-plongée). Le propos politique donne sens à cette fiction astucieuse, qui porte un regard critique et documenté sur le capital. En effet, on pioche habilement dans la réalité de l’entreprise pour dégager de bonnes idées de scènes : le recrutement de Zach au poste de vigile, le sexisme dont souffre Mélanie… Autant d’exemples que de caricatures, qui schématisent pour mieux révéler les incohérences d’un système. C’est là toute le force du film : dégager de la vie de cette représentation sociale basique qui se veut presque exhaustive (plusieurs types de « minorités » figurent dans le film, d’ordre ethnique, sexuel, ou social).
Puisqu’il fait un film sur l’engagement, Jolivet s’engage à distraire, non pas stérilement, mais au contraire sur un mode fécond : à la différence d’un film militant qui vu souvent par des spectateurs convaincus est doté d’un force concentrique, La Très Très Grande Entreprise est un film qui ne donne pas de leçon et reste ouvert, ouvert à tous spectateurs et ouvert à tous débats. Cette satire sociale originale renoue avec la comédie italienne des années 1970 (Ettore Scola et Luigi Comencini) et la comédie populiste américaine (Frank Capra et Leo McCarey) : on rit, on rit gras parfois, et c’est salutaire.