En ouverture de L’Adieu, l’habituel carton « Based on a true story » se trouve remplacé par un autre, plus énigmatique, « Based on an actual lie ». C’est que Lulu Wang raconte un épisode autobiographique : l’ensemble de sa famille a décidé de cacher à sa grand-mère la progression d’un cancer des poumons, sans espoir de rémission selon les médecins. Cette trame prometteuse se révèle malheureusement n’être qu’un prétexte à une mise en scène démonstrative des antagonismes culturels entre la Chine et les États-Unis. Billi, le double de la réalisatrice, est une jeune femme d’origine chinoise qui a grandi en Amérique dès l’âge de cinq ans. Son retour en Chine afin de rendre visite une dernière fois à sa grand-mère dont elle est très proche donne lieu à de nombreux malentendus avec sa famille, lesquels mettent en exergue les différences sociales, politiques, éducatives et idéologiques entre les deux pays. Affectant une fausse neutralité (cf. la ligne de dialogue où Billi décrit les faiblesses du modèle américain : la libre circulation des armes et un système de santé très onéreux), la réalisatrice présente systématiquement l’Occident comme le lieu de la liberté et de l’épanouissement, contre une Chine hypocrite, froide, uniformisatrice et fascinée par l’argent. Les personnages de Billi et de son cousin incarnent ce dualisme. Elle est une femme célibataire, indépendante, polyglotte et porte toujours une tenue occidentale décontractée, là où lui doit se soumettre à une série de rites étouffants et castrateurs à l’occasion de son mariage, jusqu’à ce que le costume kitsch dans lequel il est engoncé ne l’étrangle littéralement.
Cette forme de rejet, assimilée chez l’héroïne à la nostalgie du pays perdu de sa petite-enfance (une Chine à taille humaine que symbolise le jardin disparu de la maison de sa grand-mère), pourrait être intéressante si elle ne s’accompagnait d’une lourdeur formelle venant plaquer sur cette histoire de déracinement tous les tics d’un cinéma d’auteur états-unien standardisé : abus de ralentis et de gros plans dans une recherche systématique de cadrages étonnants, ou encore récurrence des motifs esthétisants (la fumée de cigarette, les néons), et omniprésence d’une musique qui mêle une partition de cordes particulièrement chargée à des morceaux estampillés pop-indé. À travers ce filtre indigeste, Antigone n’est plus qu’une enfant gâtée et capricieuse, aucune métaphore n’échappe au ridicule (les oiseaux qui suivent Billi tout au long du film et s’envolent dans le dernier plan) et l’émotion à laquelle prétendent ces adieux demeure hors de portée.