Situant son action à la frontière d’une réserve indienne du Nouveau-Mexique, de nos jours, Land décrit les interactions quotidiennes entre les Denetclaw, une famille de Natifs, et leurs voisins américains. Raymond Denetclaw travaille pour une riche exploitation de bétail, tandis que son frère Wesley, alcoolique, flâne à longueur de journée en territoire américain. Si l’arrière-plan scénaristique cumule volontiers une imagerie assez commune des populations indiennes contemporaines – alcoolisme, fierté, tradition, solidarité familiale – le cinéaste, en observateur externe (Babak Jalali est londonien d’origine iranienne), désamorce toute tentative anthropologique ou naturalisante, et privilégie les motifs visuels et sonores du western, parfois à la limite du maniérisme (certaines longueurs venant dénaturer artificiellement la continuité du récit).
Western et contre-western
Jalali puise ainsi dans certaines thématiques du genre – la conquête de territoire, les frontières, les grands espaces ruraux – tout en déployant un ensemble de substituts visuels contemporains aux motifs du western. Par exemple, le camion de transport de la compagnie prend ainsi le rôle de diligence (Raymond monte d’ailleurs sur la cargaison, lasso en main, faisant mine de diriger des chevaux), mais un autre détail bien plus signifiant retient l’attention. Un soir, tandis que la famille Denetclaw regarde la télévision, un bruit d’objet giratoire (tel un magasin de revolver) se fait entendre hors-cadre avant que la caméra ne se déplace, laissant découvrir Raymond manipulant une seringue.
Ce plan astucieux, outre qu’il informe sur le passif alcoolique de Raymond et son combat pour l’abstinence, se joue des attentes par un amusant « retour à l’envoyeur » : à une possible arme à feu se substitue en réalité une arme de défense contre l’emprise moderne de la colonisation américaine, ayant eu raison d’une grande partie de son peuple apache. Si le renversement et la reprise des codes du western semblent donc pertinents, cela résulte principalement de la place privilégiée qu’a tenu le genre dans la mise en récit des conquêtes de l’Ouest, et ce parfois dans une forme de négation du génocide amérindien (malgré, fort heureusement, quelques exceptions cinématographiques majeures). Le plan final conclut ce projet de réhabilitation : Raymond emmène Wesley loin de la réserve pour le sevrer, vers le soleil couchant. Tous comme les cowboys solitaires, les personnages signifient, par la fuite, leur refus de la civilisation occidentale.
Dé-conquête de l’Ouest
Générant principalement des plans fixes, la caméra – et donc son cadre diégétique – est le seul véritable centre gravitationnel, duquel les personnages n’ont le choix que de s’approcher ou de s’éloigner. La tension cinétique est ainsi fixée par ce va-et-vient : si la disparition vers le hors-cadre ou le hors-champ signifie, pour ses protagonistes, une perte d’influence dans le récit, elle peut apparaître comme la seule solution à leur problème (l’emprise américaine), comme le résume ce plan final.
Ce rigoureux travail de forme – longueurs maniérées, plans fixes – permet à son cinéaste de favoriser une approche qui se voudrait avant tout sensible : l’évaporation d’une potentielle dramatisation, conférant aux péripéties un rythme lent et dilué, à l’image de ses protagonistes quasiment atones et amorphes (notamment Wesley), comme si le soleil écrasant du Nouveau-Mexique avait finit par littéralement les assécher. Le film s’ouvre d’ailleurs sur un plan cocasse de ce dernier débout, en plein soleil, et soudain pris d’incontinence. Puis, lorsque la famille Denetclaw apprend que Floyd, le plus jeune frère, est mort au front en Afghanistan, Jalali choisit de filmer l’arrivée des officiers de l’armée par l’encadrement de la fenêtre de la cuisine, d’où s’écoule l’eau du robinet. Si ce plan apparaît comme un possible détournement du plan d’ouverture de La Prisonnière du désert de John Ford, la composition du cadre confirme la proéminence du motif de l’écoulement comme substitut émotif : Bettie, la femme de Raymond, pleure à peine, tandis que Mary, leur mère, ne réagit presque pas à la mort de son fils, comme si cet espace austère avait déjà eu raison de toutes ses larmes.
Sur le papier, le projet avait tout du traquenard ethno-centré stigmatisant, c’est-à-dire choisissant de se dresser pour la cause d’un peuple en se nourrissant des regrets du passé. Pourtant, la mise en scène diluée de Jalali, évoquant parfois les ritournelles envoûtantes de Sergio Leone, cherche principalement à convoquer un imaginaire diégétique à des fins cinétiques, servant sobrement la cause des Natifs sans s’enfermer dans un discours moralisateur trop ostentatoire.