Mel Gibson est un con. C’est, apparemment, une vérité acceptée en tant que telle aujourd’hui dans l’industrie cinématographique, et dans la presse. Au-delà du jugement strictement esthétique que l’on peut porter sur ses films (surtout ceux qu’il a réalisés, mais sa filmographie de star hollywoodienne est tout aussi pathétique), l’homme est devenu à ce point détesté qu’il semble avoir été définitivement rayé du cercle restreint des vedettes intouchables auquel il a longtemps appartenu. De roi du box-office, Gibson est devenu persona non grata à Hollywood de par ses violentes déclarations antisémites, homophobes et misogynes. Alcoolique notoire, farouchement opposé à l’avortement, ardent défenseur de la peine de mort, violent avec sa nouvelle compagne : n’en jetez plus, la cour est pleine, l’ex-beau gosse australien est aujourd’hui le visage le plus représentatif des rapports ambigus et complexes que les médias américains entretiennent avec leurs idoles.
Que son plus grand soutien vienne de Jodie Foster apporte un peu de trouble dans la perception unilatérale que le public a de l’acteur. Une femme ouvertement homosexuelle, athée et cultivée peut-elle être l’amie d’un homme dont les frasques vont à l’encontre de toutes ses valeurs ? L’actrice n’a jamais caché son affection pour celui qu’elle a souvent défendu d’une interview à l’autre. Et si ces considérations semblent bien peu avoir à faire dans le cadre de l’analyse d’un film, elles sont utiles à la compréhension du projet dans son ensemble. Avec Foster à la mise en scène et Gibson à l’écran, l’histoire de cet homme au bout du rouleau, incapable de communiquer avec ses proches, au bord du suicide, et qui parvient à exprimer ses angoisses par le biais d’un castor en peluche qu’il fait parler à sa place, revêt une teinte particulière. Le Complexe du castor, c’est la thérapie d’une star en rupture avec son univers, offerte en pâture au public, avec la réalisatrice dans le rôle de l’épouse du héros dans le film, et de la psy derrière la caméra.
Force est de reconnaître que Mel Gibson, que l’on n’a presque plus vu à l’écran depuis Signes de Shyamalan en 2002, livre une prestation assez spectaculaire en businessman schizophrène que sa thérapie extrême va libérer, avant de se retourner contre lui. Le défi n’était pas simple à relever et prétexte à tous les tics de l’Actors’ Studio. Gibson, on le devine assez vite, est bien au-dessus de tout ça et l’on est rapidement happé par l’intensité de son regard totalement illuminé, tour à tour hagard et perçant, dans lequel se projettent toutes les angoisses et les contradictions de son personnage, et de l’acteur lui-même. Dès lors, il peut bien cabotiner autant qu’il veut : l’empathie est réelle, et le film entier devient le fascinant journal tragi-comique d’une dépression qui se nourrit d’elle-même, monstre gargantuesque qui n’accorde aucun répit à celui qui la vit et à ses proches, dans les hauts comme dans les bas. Le Complexe du castor déjoue ainsi les attentes en multipliant les dénouements qui, évidemment, n’en sont jamais, mais dans sa volonté de croire à la possibilité d’une issue à la maladie mentale, Jodie Foster fait preuve d’un optimisme apparemment naïf, mais courageux dans ses bégaiements : pour avancer, semble-t-elle nous dire, il faut bien croire que l’on peut guérir.
La noirceur du propos est contrebalancée par un humour cinglant et bienvenu, mais Jodie Foster, dont c’est le troisième film en tant que réalisatrice, n’a toujours pas corrigé son vilain défaut : la mièvrerie. Il faut la voir ruiner tous ses beaux efforts en appuyant un peu trop sur quelques dialogues confondants de préciosité sur la famille, l’amour, la foi (en soi et en les autres) nappés d’une musique dégoulinante. Surtout, le scénario s’embarrasse d’une sous-intrigue inutile et redondante mettant en scène la love-story du fils aîné, en conflit avec son père auquel il ne ressemble que trop, avec une belle et très dark jeune fille de son lycée. Rien de plus casse-gueule que les amours adolescentes et les messages qui les accompagnent, et Jodie Foster tombe pile dans le piège. Le Complexe du castor sombre alors dans l’anecdotique, quand il aurait pu se contenter d’être le fascinant portrait à tiroirs d’un homme qui tombe et tente tant bien que mal de se relever, incarné par un acteur au fond du trou qui démontre, contre toute attente et avec une ironie certaine, que Shakespeare avait bien raison : le monde est une scène et chacun y joue un rôle.