Si l’habitude en France voit souvent les films s’allonger avec l’expérience de leurs réalisateurs, c’est en premier lieu par sa concision que Le Dernier Coup de marteau surprend – deuxième film d’Alix Delaporte après le sensible Angèle et Tony en 2010. Cette nouvelle fiction en réunit les deux principaux interprètes (le couple Clotilde Hesme / Grégory Gadebois) et l’essentiel des motifs, esthétiques ou narratifs : rencontre de deux mondes et personnalités antagonistes, mère célibataire, émancipation et mer à l’horizon. Ici le film se décentre de la romance pour offrir, entre une mère et son fils et non plus un couple, un même regard subtil et réservé sur les relations humaines.
Variations
L’anecdote du Dernier Coup de marteau se fond dans un cadre archi-connu pour mieux, précisément, en déjouer les attentes. Car au-delà de la relation entre une mère et son fils, c’est pour ce-dernier la rencontre avec son père, à l’adolescence, qui motive la mise en route du récit. Mais là n’est pas tant le noyau narratif de ce deuxième long : Nadia (la mère) est vraisemblablement proche de la phase terminale de son cancer et essaie, à la hauteur de ses moyens et sans jamais l’expliciter, de préparer son fils à son départ. Le hasard – ou non, cela reste possible – veut que son père Samuel, célèbre chef d’orchestre qui ignorait l’existence de son fils, soit de retour à Montpellier après des années. Jamais les intentions de qui que ce soit ne sont vraiment claires dans le film : c’est ce qui en fait la finesse, le film se donnant dans le hic et nunc de la fiction avec une sensibilité passionnée, effervescente autant qu’introvertie. Avec son attention portée aux visages, au cadre, à la sensualité, Le Dernier Coup de marteau est un film du moment présent, celui dont on profite peut-être à l’annonce d’une mort à venir – et dont l’ombre, toujours tue, pèse à l’horizon du métrage dans ses silences, par l’intermédiaire du corps de Nadia seulement (maigre, au crâne rasé).
Alix Delaporte retrouve la finesse qu’on lui connaît. Maintenant à l’écart du poids de sa sélection en compétition au dernier festival de Venise, on peut relire les échappées du film moins comme une obsession du détail naturaliste que comme un rejet volontaire de l’évidence narrative ou émotionnelle. Concision, refus des passages obligés, absence d’explications et attention tout entière tournée vers les visages, les corps, l’apprentissage de la sensibilité (ici musicale) comme de la sensualité (pour le jeune Victor, avec sa voisine espagnole Luna) : la réalisatrice déjoue les attentes. Elle fait de la quête du père, motif de cinéma largement travaillé en tant que noyau des intrigues, une étape vers quelque chose de plus important, le véritable sujet du film : la déclaration d’amour d’un fils à sa mère gravement malade.
Ici la musique, la découverte du monde sensible (un peu lourdement soulignée par l’apparition d’un maillot de foot Zidane à l’opéra, tâche aveugle, perturbation du monde sur lequel se concentre l’intrigue), jouent le rôle de révélateurs au sens chimique du terme. Des instructions du chef d’orchestre aux contre-champs sur ses musiciens à l’œuvre, répond le silence scrutateur (ou endormi…) du jeune Victor, qui par la musique autant que la rencontre tardive avec son père fait l’apprentissage de la maturité, à l’heure où il sent que sa relation avec sa mère va prendre un terme brutal. On ne peut s’abstenir de souligner au passage l’épatante incarnation du jeune Romain Paul, sans cesse mis en valeur par la réalisatrice dont l’attention portée aux visages est primordiale. Concis, taiseux, ce personnage est le lieu même de la révélation mise en scène (une fois de plus, au sens chimique du terme) : l’épanouissement à la vie avec, comme dans Angèle et Tony, la mer à l’horizon.
Reflet dans un œil d’or
Le titre trouve son origine dans la mise en abyme entre la construction du film et le symbole musical qu’il accompagne. Il vient de Mahler et sa 6ème Symphonie ; ce dernier coup de marteau, évincé du morceau, est éliminé même du film (c’est la mort inéluctable), qui se ferme sur l’horizon, le moment présent, l’accomplissement de soi – pour conjurer le sort. L’analogie musicale, au lieu d’avoir la pesanteur d’une explication de texte, souligne l’incroyable singularité du film, qui fait le choix de peu dire pour mieux montrer, de beaucoup taire pour mieux donner à sentir. Les parallèles (découverte de la sensibilité artistique, transition de l’amour filial à l’amour sensuel) se reflètent inlassablement par l’intermédiaire du protagoniste adolescent et de son visage.
C’est lui seul, même, qui sert de point de jonction entre les trajectoires de Nadia et Samuel, qui ne se croisent jamais. Leur rencontre plane, comme une ombre. Il est très amusant d’imaginer, par la continuité du trio Delaporte-Hesme-Gadebois, une sorte de lien, quel qu’il soit, entre les personnages des deux films – même s’il n’est qu’imaginaire, pour le spectateur… Et il est d’autant plus triste de ne jamais voir ce vieux couple se retrouver – simplement, ce n’est pas le propos du film, qui fait le choix, toujours, de donner à entendre l’écho de ces relations et sentiments souterrains, entre les gens, entre les choses, qui dessinent les trajectoires de nos vies. On se plaignait au moment de la sortie d’Angèle et Tony de la réserve de la réalisatrice. Il est clair aujourd’hui que cette réserve, ces détours, ces silences, sont de partis pris, de véritables motifs cinématographiques, et non fuites ou pirouettes. Le Dernier Coup de marteau est un film sensible, sensuel, concis. Une nouvelle réussite.